SUR SOPHONISBE 445
qu'elle croyait son devoir. Sans doute Massinissa ne peut plus être à elle, mais elle veut qu'il ne soit à personne : elle s'étonne, elle s'indigne presque qu'Éryxe, prisonnière de Syphax, ose lui disputer ce cœur auquel elle n'a pas sincèrement renoncé. Ou ne peut se défendre d'une impression pénible lorsqu'on la voit con- duire à sa perte ce mari qui l'aime et qu'elle n'aime point. Livré à ses propres inspirations, Syphax ne se fût point déclaré pour Carthagc contre les Romains ; c'est par amour pour Sophonisbe qu'il se décide à vaincre ou à mourir en roi.
SOPHONISBE.
Vous montrez pour Carthage un peu d'ingratitude. Quoi! vous qui lui devez ce bonheur de vos jours, \'ous que mon hyménée engage à son secours, Vous que votre serment attache à sa déiénse. Vous manquez de parole et de reconnaissance! Et, pour remercimeut de me voir eu vos mains. Vous la livrez vous-même en celles des Romains! Vous brisez le pouvoir dont vous m'avez reçue, Et je serai le prix d"uue amitié rompue. Moi qui, pour eu étreiudre à jamais les grands nœuds. Ai d'un amour si juste éteint les plus beaux feux! Moi, que vous protestez d'aimer plus que vous-même! Ah! Seigneur, le dirai-je? est-ce aiusi que l'on m'aime?
SYPHAX.
Si vous m'aimiez, Madame, il vous serait bien doux
De voir comme je veu.x ne vous devoir qu'à vous;
Vous ne vous plairiez pas à montrer dans votre àme
Les restes odieux d'une première llamme,
J)"uu amour dont Ihymeu qu'on a vu nous unir
Devrait avoir éteint jusques au souvenir.
Vantez-moi vos appas, montrez avec courage
Ce prix impérieux dont m'achète Carthage;
Avec tant de hauteur prenez son intérêt,
Qu'il me f.iille eu esclave agir comme il lui plaît;
Au moindre soin des miens traitez-moi d'intidèle.
Et ne me permettez de régner que sous elle;
.Mais épargnez ce comble aux malheurs que je crains,
D'enteudre aussi vanter ces beaux feux mal éteints,
Et de vous en voir l'àme encor toute -obsédée
Eu ma présence même en caresser l'idée.
SOPHOMSBE.
Je m'en souviens. Seigneur, lorsque vous oubliez Quels vœux mon changement vous a sacriCés, Et saurai l'oublier, quaud vous ferez justice A ceux qui vous ont fait un si grand sacrifice.
�� �
