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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

mauvais ; des vagues extrêmement grosses déferlaient sur nous et nous renversaient quelquefois très-rudement. Les cris des hommes se mêlaient alors au bruit des flots, tandis qu’une mer terrible nous soulevait chaque instant de dessus le radeau, et menaçait de nous entraîner. Cette scène était encore rendue plus affreuse par l’horreur qu’inspirait une nuit très-obscure. Tout-à-coup nous crûmes, pendant quelques instans, découvrir des feux au large. Nous avions eu la précaution de pendre au haut du mât de la poudre à canon et des pistolets dont nous nous étions munis à bord de la frégate : nous fîmes des signaux, en brûlant une grande quantité d’amorces ; nous tirâmes même quelques coups de pistolet, mais il parait que la vue de ces feux n’était qu’une erreur de vision, ou peut-être était-ce l’effet des brisans des vagues. Nous luttâmes contre la mort pendant toute cette nuit, nous tenant fortement aux filières qui étaient solidement amarrées. Roulés par les flots de l’arrière à l’avant et de l’avant à l’arrière, et quelquefois précipités dans la mer, flottant entre la vie et la mort, gémissant sur notre infortune, certains de périr, disputant néanmoins un reste d’existence à cet élément cruel qui menaçait de nous engloutir, telle fut notre position jusqu’au jour. L’on entendait à chaque instant les cris lamentables des soldats et des matelots ; ils se préparaient à la mort ; se faisaient leurs adieux en implorant la protection du ciel, et adressant de ferventes prières à Dieu. Tous lui faisaient des vœux, malgré la certitude où