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CHAPITRE V.

des ouvriers donna son mouchoir pour la panser et étancher le sang. Nos soins ranimèrent ce misérable ; mais dès qu’il eut repris de nouvelles forces, l’ingrat Dominique, oubliant encore une fois son devoir et le service signalé qu’il venait de recevoir de nous, alla rejoindre les révoltés. Tant de bassesse et de fureur ne restèrent point impunies ; et bientôt après il trouva, en nous combattant de nouveau, la mort, à laquelle il ne méritait pas en effet d’être arraché, mais qu’il eût probablement évitée, si fidèle à l’honneur et à la reconnaissance, il fût demeuré parmi nous.

Au moment où nous finissions de mettre une espèce d’appareil sur les blessures de Dominique, une nouvelle voix se fit entendre : c’était celle de la malheureuse femme embarquée avec nous sur le radeau, et que les furieux avaient jetée à la mer, ainsi que son mari, qui la défendait avec courage. M. Corréard, désespéré de voir périr deux malheureux, dont les cris lamentables, surtout ceux de la femme, lui déchiraient le cœur, saisit une grande manœuvre qui se trouvait sur l’avant du radeau, avec laquelle il s’attacha par le milieu du corps, et se jeta une seconde fois à la mer, d’où il fut encore assez heureux pour retirer la femme, qui invoquait de toutes ses forces le secours de Notre-Dame-du-Laux, tandis que son mari était pareillement sauvé par le chef d’atelier Lavillette. Nous assîmes ces deux infortunés sur des corps morts et en les adossant à une barrique. Au bout de quelques instans ils eurent repris leurs sens. Le premier mouvement de la femme