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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

nos braves. » Elle prit alors plaisir à entrer dans quelques détails de ses campagnes : elle citait ceux qu’elle avait secourus, les vivres quelle leur avait fournis, l’eau-de-vie dont elle les avait régalés. Qu’ils eussent de l’argent ou non, disait-elle, jamais je ne leur refusais ma marchandise. Quelquefois une bataille me faisait perdre quelques-unes de mes pauvres créances ; mais aussi, après la victoire, d’autres me payaient le triple et le double de la valeur des vivres qu’ils avaient consommés avant le combat. Ainsi, j’entrais pour quelque chose dans leur victoire. « L’idée de devoir en ce moment la vie à des Français, semblait ajouter encore à son bonheur. L’infortunée !  ! elle ne prévoyait pas quel sort affreux lui était réservé parmi nous.

Pendant ce temps, voyons ce qui se passait plus loin sur le radeau. Après le second choc, la furie des soldats s’était tout-à-coup apaisée et avait fait place à la plus insigne lâcheté. Plusieurs se jetèrent à nos genoux, et nous demandèrent un pardon qui leur fut à l’instant accordé.

C’est ici le cas de remarquer et de dire hautement, pour l’honneur de l’armée française, de cette armée qui s’est montrée aussi grande, aussi courageuse dans les revers, que redoutable dans les combats, que la plupart de ces misérables n’étaient pas dignes d’en porter l’uniforme. C’était le rebut de toutes sortes de pays ; c’était l’élite des bagnes, où l’on avait écumé ce ramassis impur, pour en former la force chargée de