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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

patrie, qui les sépare à jamais des autres hommes.

Nous eûmes bientôt sur notre radeau une nouvelle preuve de l’impossibilité de compter sur la permanence d’aucun sentiment honnête dans le cœur d’êtres de cette espèce. Croyant l’ordre rétabli, nous étions revenus à notre poste au centre du radeau ; seulement nous avions eu la précaution de conserver nos armes. Il était à-peu-près minuit. Après une heure d’une apparente tranquillité, les soldats se soulevèrent de nouveau. Leur esprit était entièrement aliéné : ils couraient sur nous en désespérés, le couteau ou le sabre à la main. Comme ils jouissaient de toutes leurs forces physiques, et que d’ailleurs ils étaient armés, il fallut de nouveau se mettre en défense. Leur révolte devenait d’autant plus dangereuse, que dans leur délire ils étaient entièrement sourds à la voix de la raison. Ils nous attaquèrent ; nous les chargeâmes à notre tour, et bientôt le radeau fut jonché de leurs cadavres. Ceux de nos adversaires qui n’avaient point d’armes, cherchaient à nous déchirer à belles dents ; plusieurs de nous furent cruellement mordus : M. Savigny le fut lui-même aux jambes et à l’épaule. Il reçut en outre un coup de pointe au bras droit, qui l’a privé longtemps de l’usage des doigts annulaires et auriculaires. Plusieurs autres furent blessés ; de nombreux coups de couteau et de sabre avaient traversé nos habits.

Un de nos ouvriers fut aussi saisi par quatre des révoltés qui voulaient le jeter à la mer. L’un d’eux l’avait saisi par la jambe droite, et lui mordait cruel-