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CHAPITRE VI.

dernière hache d’abordage qu’il y avait sur le radeau, il fit ensuite sa retraite sur l’avant, s’enveloppa dans une draperie qu’il portait croisée sur sa poitrine, et de son propre mouvement se précipita dans la mer. Les séditieux accoururent pour venger leurs camarades ; une lutte terrible s’engagea de nouveau, et de part et d’autre on combattit en désespérés. Bientôt le triste radeau fut jonché de cadavres et couvert d’un sang qui aurait dû couler pour une autre cause et par d’autres mains. Dans ce tumulte, des cris que nous connaissions déjà, se renouvelèrent, et nous reconnûmes les accens de la rage funeste qui demandait la tête du lieutenant Danglas. On sait que nous ne pouvions satisfaire cette rage insensée, puisque la victime désignée avait fui les dangers auxquels nous étions exposés ; mais quand bien même cet officier serait resté parmi nous, nous aurions bien certainement défendu ses jours aux dépens des nôtres, comme nous avions défendu ceux du sous-lieutenant Lozach. Mais ce n’était pas pour lui que nous étions réduits à déployer contre des furieux tout ce que nous pouvions avoir de valeur et de courage.

Nous répondîmes encore une fois aux cris des assaillans, que celui qu’ils demandaient n’était point avec nous ; mais nous ne réussîmes pas davantage à les persuader, et rien ne pouvant les faire rentrer en eux-mêmes, il fallut continuer de les combattre, et d’opposer la force des armes à ceux sur lesquels la raison avait perdu tout empire. Dans cette mêlée, l’infortunée cantinière fut une seconde fois jetée à la mer. On