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CHAPITRE VI.

Saint-Louis ; il fallait ensuite le temps d’expédier des navires, et à ces navires celui de nous trouver ; nous résolûmes de tenir le plus long-temps possible. Dans le courant de la journée, deux militaires s’étaient glissés derrière la seule barrique de vin qui nous restât, ils l’avaient percée, et buvaient avec un chalumeau. Nous avions tous juré que celui qui emploîrait de semblables moyens serait puni de mort. Cette loi fut à l’instant mise à exécution, et les deux infracteurs furent jetés à la mer[1].

Cette même journée vit terminer l’existence d’un enfant âgé de douze ans, nommé Léon ; il s’éteignit comme une lampe qui cesse de brûler faute d’aliment. Tout parlait en faveur de cette jeune et aimable créature, qui méritait un meilleur sort. Sa figure angélique, sa voix harmonieuse, l’intérêt d’un âge si tendre, augmenté encore par le courage qu’il avait montré, et les services qu’il pouvait compter, puisque déjà il avait fait, l’année précédente, une campagne dans les Grandes-Indes ; tout nous inspirait la plus tendre pitié pour cette jeune victime dévouée à une mort si affreuse et si prématurée. Aussi nos vieux soldats et tous nos gens en général, lui prodiguèrent tous les soins qu’il crurent propres à prolonger son existence ; ce fut en vain, ses forces finirent par l’abandonner ; ni le vin,

  1. Un de ces militaires était précisément le sergent dont nous venons de parler page 135 ; il mettait ses camarades en avant et se tenait caché, en cas qu’ils échouassent dans leurs projets.