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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

deux ; nous n’étions que les ombres de nous-mêmes. Nous trouvâmes à bord du brick de fort bon bouillon qu’on avait préparé, dès qu’on nous eut aperçus ; on releva ainsi nos forces prêtes à s’éteindre ; on nous prodigua les soins les plus généreux et les plus attentifs ; nos blessures furent pansées, et le lendemain, plusieurs des plus malades commencèrent à se soulever ; cependant quelques-uns eurent beaucoup à souffrir, car ils furent mis dans l’entrepont du brick très-près de la cuisine, qui augmentait encore la chaleur presque insupportable dans ces contrées : le défaut de place dans un petit navire fut cause de cet inconvénient. Le nombre des naufragés était à la vérité trop considérable. Ceux qui n’appartenaient pas à la marine furent couchés sur des câbles, enveloppés dans quelques pavillons et placés sous le feu de la cuisine, ce qui les exposa à périr dans le courant de la nuit par l’effet d’un incendie qui se manifesta dans l’entrepont, vers les dix heures du soir, et qui faillit à réduire le navire en cendrés. Mais des secours furent apportés à temps, et nous fûmes sauvés pour la seconde fois. À peine échappés, quelques-uns de nous éprouvèrent encore des accès de délire. Un officier de troupes de terre voulait se jeter à la mer pour aller chercher son portefeuille ; il eût exécuté ce dessein si on ne l’eût retenu ; d’autres eurent aussi des accès non moins violens.

Le Commandant et les officiers du brick s’empressaient près de nous, et prévoyaient nos besoins avec attendrissement. Ils venaient de nous arracher à la