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Page:Corréard, Savigny - Naufrage de la frégate La Méduse, 1821.djvu/176

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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

Nous étions réduits à une ration d’un verre d’eau sale ou puante. Encore si nous en avions eu en abondance ! Pour tromper notre soif, nous mettions un morceau de plomb dans la bouche ; c’était un triste expédient ! »

« La nuit vint encore ; elle fut la plus terrible de toutes ; le clair de lune nous faisait apercevoir une mer furieuse. Des lames longues et creuses menacèrent vingt fois de nous faire disparaître. Le timonier ne pouvait croire que nous pussions échapper à toutes celles qui arriveraient. Si nous en avions embarqué une seule, la fin était venue ; le timonier mettait le gouvernail en travers, et la chaloupe faisait capot. Ne valait-il pas mieux en effet disparaître d’un seul coup que de mourir lentement ? »

« Vers le matin, la lune étant couchée, excédé de besoin, de fatigue et de sommeil, je cède à mon accablement, et je m’endors malgré les vagues prêtes à nous engloutir. Les Alpes et leur sites pittoresques se présentent à ma pensée. Je jouis de la fraîcheur de l’ombrage ; je renouvelle les momens délicieux que j’y ai passés, et comme, pour ajouter à mon bonheur actuel par l’idée du mal passé, le souvenir de ma bonne sœur, fuyant avec moi dans les bois de Kaiserlautern les Cosaques qui s’étaient emparés de l’établissement des mines, est présent à mon esprit. Ma tête était penchée au-dessus de la mer. Le bruit des flots qui se brisent contre notre frêle barque produit sur mes sens l’effet d’un torrent qui se précipite du