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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

bitume, produisit sur les chairs vives des douleurs mille fois plus atroces. Dès-lors, ne voyant plus aucun moyen de se laver, ni la possibilité de se coucher sans se remplir de sable, il fallut, malgré l’état de faiblesse où l’on se trouvait, tâcher de rester de bout.

Enfin le prince Hamet revint le 16, distribua aux naufragés dix gros poissons avec à peu près deux verres d’eau, et demanda ce qu’ils lui donneraient pour les conduire au Sénégal : on le pria de dire lui-même ce qu’il désirait : on lui promit davantage, et sur-le-champ on se mit en route, lui enchanté de sa bonne fortune, les captifs trop heureux de quitter cet odieux repaire.

Nous avons dit une partie des misères qu’ils y souffrirent, mais il est difficile d’imaginer combien les naturels prenaient plaisir à les vexer. On leur faisait arracher des racines, charger et décharger les chameaux, panser les bestiaux, etc. ; et quand enfin le sommeil, plus fort que toutes les douleurs, venait fermer leurs paupières, les femmes et les enfans s’amusaient à les pincer jusqu’au sang, à leur arracher les cheveux et les poils de la barbe, à jeter du sable dans leurs plaies, et se délectaient surtout à entendre leurs cris et leurs gémissemens. Cependant, comme la curiosité de l’homme ne cesse qu’avec lui, on remarqua que le prince avait une tente beaucoup plus belle que les autres ; qu’il y couchait, environné de ses femmes favorites, qui gardaient un silence respectueux pendant qu’il fumait gravement. Pour réunir à la fois toutes