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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

reuses indigestions, qui n’empêchèrent pourtant pas d’acheter un bœuf et de le faire cuire à la manière des Maures. Voici en quoi elle consiste : on creuse un grand trou ; on y allume un feu de racines (seuls combustibles que présente la côte ) ; puis on y jette l’animal ; on le recouvre de sable ; et par-dessus on entretient un feu ardent. M. Petit et quelques soldats contenaient les plus affamés, qui voulaient déterrer le boeuf et le dévorer sans plus attendre. Enfin, on le partagea. Cette viande coriace, mangée avidement, produisit de funestes effets. Un Italien s’en gorgea au point de se faire enfler le ventre et d’en mourir le lendemain. M. Danglas, M. Leichenaux et plusieurs autres tombèrent dans une véritable démence : le premier prenait toutes les manières d’un petit garçon, demandait en pleurant qu’on ne l’abandonnât point dans le désert. Aussi l’excellent M. Karnet le traitait en enfant gâté, et lui donnait du sucre et des petits pains américains.

Le même jour l’Argus reparut à une lieue environ. Ayant entendu quelques coups de fusil tirés par M. Karnet, il s’approcha du rivage autant qu’il put, et envoya à terre une embarcation. Comme elle tentait en vain de franchir les brisans, M. Karnet, le prince Hamet et son frère les passèrent à la nage, et parvinrent au canot, qui les porta au brick. Le capitaine, M. Parnajon, leur remit un baril de biscuit avec quelques bouteilles d’eau-de-vie, et les renvoya dans un autre canot, qui, non plus que l’autre, ne put traverser les brisans. Alors ils se mirent à la mer avec leur car-