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CHAPITRE XII.

fortune, la malpropreté dégoûtante à laquelle je suis livré, les mauvais soins d’un soldat infirmier, continuellement ivre et négligent, l’insupportable dureté d’un mauvais lit à peine abrité des injures de l’air, tout m’annonce une fin inévitable. Il faut donc m’y résigner et l’attendre avec courage ! J’étais moins à plaindre sur le radeau ; là, l’imagination exaltée, à peine je jouissais de mes facultés intellectuelles ! Mais ici, je ne suis plus qu’un homme ordinaire, un homme avec toute la faiblesse de l’humanité. Mon esprit se perd dans de mornes réflexions ; mon âme se fond dans de continuelles souffrances, et je vois chaque jour ceux qui partagèrent mon sort malheureux me précéder dans la tombe[1].

C’est au moment même où ce soliloque désespérant l’absorbait en entier, qu’il vit entrer dans la salle où il était deux jeunes officiers accompagnés de trois ou quatre esclaves chargés de différens effets. Ces deux militaires s’approchèrent avec un air de bonté du triste et immobile Corréard. Recevez, lui dirent-ils, ces faibles dons ; c’est le major Peddy et le capitaine Campbell qui vous les envoient ; et nous, Monsieur, nous avons voulu jouir du bonheur de vous ap-

  1. Trois malheureux provenant du radeau moururent en fort peu de temps : ceux qui ont traversé le désert s’étant trouvés trop malades pour se rendre à Daccard, étaient en assez grand nombre dans cet hôpital, et y périssaient successivement.