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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

pas. Oh ! sans doute, si Sa Majesté eût été instruite que de malheureux Français échappés au radeau de la Méduse, sollicitaient en vain son ministre depuis longtemps, sa bonté paternelle leur aurait donné des preuves de sa justice et de sa bienveillance. Sa main secourable, qui s’ouvre même pour des coupables, en répandant ses bienfaits sur nous, ses fidèles sujets, nous eût fait oublier nos malheurs et nos blessures. Mais non ; un pouvoir désobligeant et plus que désobligeant, comme on le verra un peu plus bas, élevait entre le trône et nous une barrière inflexible où venaient s’arrêter nos suppliques[1].

M. Corréard, persuadé de l’inutilité de faire de nouvelles pétitions, renonça, pour le moment à con

  1. « Souvent l’injustice et la fraude trouvent des protecteurs ; jamais elles n’ont le public pour elles. C’est en ceci que la voix du peuple est la voix de Dieu ; mais malheureusement cette voix sacrée est toujours faible dans les affaires contre le cri de la puissance, et la plainte de l’innocence opprimée s’exhale en murmures méprisés par la tyrannie. Tout ce qui-se fait par brigue et séduction se fait par préférence au profit de ceux qui gouvernent ; cela ne saurait être autrement. La ruse des préjugés, l’intérêt, la crainte, l’espoir, la vanité, les couleurs spécieuses, un air d’ordre et de subordination ; tout est bon pour des hommes habiles constitués en autorité et versés dans l’art d’abuser le peuple. Quand il s’agit d’opposer l’adresse à l’adresse, ou le crédit au crédit, quel avantage immense n’ont pas dans un État les premières familles, toujours unies pour dominer. » J. J. Rousseau, lettres écrites de la Montagne.