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CHAPITRE IV.

méridionale du banc d’Arguin, qui, selon quelques personnes du Sénégal, se découvre à marée basse. Peut-être qu’un aurait été contraint de nous abandonner, la deuxième nuit après notre départ, si toutefois il eût fallu plus de vingt-quatre heures pour nous remorquer jusqu’à terre ; car le temps fut très-mauvais. Mais nous nous serions trouvés alors très-près de la côte, et il eût été très-facile de nous sauver : nous n’aurions eu du moins que les élémens à accuser !… Nous sommes persuadés que peu de temps aurait suffi pour nous remorquer jusqu’à vue de terre, car le soir de notre abandon, le radeau se trouva précisément dans la direction de la route qu’avaient tenue les embarcations, entre la terre et la frégate, et au moins à cinq lieues de cette dernière. Le lendemain au matin nous n’apercevions plus la Méduse.

Nous ne crûmes réellement pas, dans les premiers instans, que nous étions si cruellement abandonnés ; nous nous imaginions que les canots avaient largué, parce qu’il avaient aperçu un navire, et qu’ils couraient dessus pour demander du secours. La chaloupe était assez près de nous, sous le vent à tribord. Elle amena sa misaine à mi-mât ; sa manœuvre nous fit croire qu’elle allait reprendre la première remorque. Elle resta ainsi un moment, amena tout-à-fait sa misaine, mâtat son grand mât, hissa ses voiles, et suivit le reste de la division. Quelques hommes de cette chaloupe, voyant qu’on nous abandonnait, menacèrent de faire feu sur les autres canots, mais furent arrêtés