Page:Correspondance inédite (1870-1875) d'Arthur Rimbaud, 1929.djvu/35

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— Pourquoi l’azur muet et l’espace insondable ?
Pourquoi les astres d’or fourmillant comme un sable ?
Si l’on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l’horreur de l’espace ?
Et tous ces mondes.là, que l’éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d’une éternelle voix ?

— Et l’Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu’un rêve ?
Si l’homme nait si tôt, si la vie est si brève,
D’où vient-il ? Sombre-t-il dans l’Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l’immense Creuset d’où la Mère Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose et croître dans les blés ?…
Nous ne pouvons savoir ! — Nous sommes accablés
D’un manteau d’ignorance et d’étroites chimères !
Singes d’hommes tombés de la vuive des mères,
Notre pale raison nous cache l’infini !
Nous voulons regarder : — le Doute nous punit !
Le doute ; morne oiseau, nous frappe de son aile…

— Et l’horizon s’enfuit d’une fuite éternelle !…
Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l’Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l’immense splendeur de la riche nature !
Il chante… et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !…

— C’est la Rédemption ! c’est l’amour ! c’est l’amour !…