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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/292

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Il est peu de sujets plus connus que celui d’Amphitryon. L’histoire héroïque de la Grèce commence à la naissance d’Hercule, dont les descendants, sous le nom d’Héraclides, régnèrent longtemps sur les plus belles contrées de cette partie à jamais célèbre de notre continent. Cette fable est du nombre des erreurs religieuses qui ont parcouru le globe. Les Grecs, qui empruntèrent presque toutes celles de leur théogonie des Égyptiens, doivent celle-ci aux Indiens ; on l’a retrouvée dans un de ces livres sacrés des Brames que les Anglais viennent de traduire, et dont l’antiquité remonte bien au delà des premiers temps de la civilisation des Grecs. Dans la mythologie indienne, c’est un dieu qui prend, comme dans la mythologie grecque, la figure d’un général célèbre, et jouit de ses droits auprès de son épouse ; de cette union naquit un héros dont les exploits ont consacré le nom dans les temps héroïques de l’Inde. C’est absolument, comme l’on voit, l’histoire de Jupiter et d’Alcmène ; mais ce qui rend, dans le livre sacré des Brames, l’aventure encore plus singulière, et surtout plus gaie, c’est le procès qui en est la suite. Le général indien revendique ses droits et sa femme, le dieu ne veut pas s’en dessaisir ; l’affaire est portée devant un tribunal. La ressemblance des deux époux est si parfaite que les juges, dans l’impossibilité où ils se trouvent de décider quel est le véritable mari, ordonnent un congrès assez étrange, auquel cependant la femme se soumet avec une résignation qu’on ne doit attribuer qu’à sa profonde soumission aux lois ; ils ordonnent que la femme passera tour à tour une nuit avec les deux maris prétendus, et qu’elle reconnaîtra pour son véritable époux celui qui en remplira le mieux les devoirs. Le dieu, dans cette épreuve singulière, se conduit en dieu, car, quelque estimable que soit la conduite du mari, celle du dieu l’est quatre fois davantage. Le choix pourrait-il encore être douteux ? La femme, toujours fidèle à la loi, reconnaît pour son époux celui qui s’en est montré le plus digne ; mais le dieu, à qui tant de succès multipliés avaient peut-être fait éprouver cette malheureuse satiété qui corrompt trop souvent les plus douces jouissances des mortels, abandonne alors sa femme à son véritable mari, et remonte au ciel, en lui annonçant, comme Jupiter à Amphitryon, que de ce tour vraiment divin doit naître un héros dont les exploits étonneront l’univers. Si l’on est surpris de retrouver chez les Grecs