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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/305

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trois innocents condamnés à la roue par le premier tribunal du royaume, et que le bonheur de les avoir sauvés console bien sans doute et des inimitiés et du décret que lui valurent son zèle et sa constance. Plusieurs de ces Lettres ont déjà paru, quelques-unes même dans les notes de ses mémoires ; l’auteur n’a donc guère eu l’intention de garder l’anonyme, pas même en faisant dire à son éditeur dans l’avertissement : « On les a attribuées à un magistrat, mais cette foule de gens qui se connaissent en style ne s’y trompera point. »

L’avertissement de cet éditeur est remarquable. Il avoue d’abord modestement que « ceci n’est point un voyage d’Italie, mais un voyage en Italie ; l’auteur, à mesure que les objets paraissaient sous ses yeux, communiquait à sa famille et à ses amis quelques-unes des impressions qu’il recevait ; voilà ces Lettres… » Il prévoit ensuite plusieurs reproches que beaucoup d’écrivains ne craindraient guère d’avoir mérités. « On reprochera peut-être à l’auteur d’avoir écrit avec un certain enthousiasme, avec sensibilité ; mais souvent il a écrit en présence même des objets, et il a le malheur de sentir. [Quel malheur ! ] On pourra encore accuser le style d’être quelquefois poétique. Comment donc décrire un tableau sans en faire un ? » Que répondre à tant de modestie ?

Les torts que des lecteurs sans partialité ont remarqués dans cet ouvrage ne sont pas précisément ceux dont l’auteur et ses amis conviennent avec une naïveté si facile ; mais ces torts seraient encore plus réels, qu’ils ne pourraient détruire l’intérêt qu’inspire la lecture de ces Lettres par une foule d’idées ingénieuses, d’observations fines et profondes, de sentiments délicats exprimés trop souvent sans doute avec recherche, mais quelquefois aussi avec l’originalité la plus énergique et la plus heureuse.

On est tenté de croire que, dans ses observations comme dans ses descriptions, l’auteur a souvent essayé de saisir la manière de Sterne, mais comme il a senti qu’il avait beaucoup moins de talent, il a voulu du moins avoir beaucoup plus d’esprit, et sous ce double rapport, il est tour à tour fort au-dessus et fort au-dessous de son modèle. Quelquefois il s’élève à la hauteur de Montesquieu, à la chaleur de Jean-Jacques, mais l’instant d’après il retombe dans une petite manière