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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/368

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s’agissait que de passer des injustices dont il ne sentirait pas le premier les inconvénients. Il mit de certaines formes dans son obéissance, afin de la rendre équivoque, et de contenter à la fois, s’il était possible, la cour et le public. Soit qu’il faille l’attribuer à une politique fausse et trop commune, qui, ne sachant… se décider, se contrarie elle-même, soit qu’elle soit la marche naturelle d’un corps qui, ayant des projets au-dessus de ses forces, a tour à tour de la crainte et de la confiance, sa conduite fut si embrouillée et si mystérieuse qu’on ne savait pas mieux sur la fin du règne de François Ier ce qu’il fallait penser de l’enregistrement qu’on ne l’avait su sous Charles VII. Le Conseil et le Parlement gardaient tous deux le silence… Chacun attendait avec patience un moment favorable pour découvrir, si je puis parler ainsi avec Tacite, le secret de l’empire, et expliquer une énigme que nos neveux ne devineront peut-être jamais, mais qui, nous laissant incertains entre le despotisme de la cour et l’aristocratie du Parlement, jette dans notre administration je ne sais quoi de louche et d’obscur qui nuit à la dignité des lois et à la sûreté des citoyens, et indique un gouvernement sans principes, qui se conduit au jour le jour par les petites vues de quelque intérêt particulier. »

Si l’abbé de Mably juge avec beaucoup de sévérité la conduite des Parlements, il n’a pas plus d’indulgence pour les autres ordres de l’État, pour la noblesse, pour le clergé, pour la finance, pour les ministres, pour le corps entier de la nation ; il révèle avec la même impartialité toutes les injustices ; il pèse avec la même sagacité toutes les fautes et toutes leurs conséquences. Examinez, dit-il, le caractère de la nation française, il est conforme à son gouvernement, et nous ne portons en nous-mêmes aucun principe de révolution… Il proteste, en terminant son ouvrage, et il suffit de l’avoir lu pour l’en croire, il proteste qu’il n’a voulu nuire à personne ni à aucun ordre de l’État. « J’ai été obligé de dire des choses dures, mais la vérité me les a arrachées. Je suis historien, je suis Français ; et quelle n’aurait pas été ma satisfaction, si au lieu d’un Philippe le Bel, d’un Charles V, d’un Louis XI, j’avais pu peindre des Charlemagne ! Le bonheur de mes compatriotes est l’objet que je me suis proposé ; mais ce bonheur n’existera jamais si nous ne nous corrigeons pas de nos erreurs et de nos vices. »