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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/412

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M. Jourdain. — Et Vénus et Minerve, qu’est-ce que c’est que cela ?

Le Philosophe. — Ce sont les noms poétiques que l’on donne à la Beauté et à la Vertu.

M. Jourdain. — Ce sont donc deux personnes différentes ?

Le Philosophe. — Ordinairement ; cependant il n’est pas impossible que cela ne fasse qu’un.

M. Jourdain. — Je n’entends pas tout cela. Donnez-moi vite quelque chose à dire à une princesse, afin qu’elle n’aille pas me prendre pour un bourgeois. Il me faudrait encore une petite chansonnette, mais sur un air plus doux ; car la princesse que je dois voir a l’air si doux ! si doux !

Le Philosophe. — Bien pensé ; Aristote lui-même n’aurait pas mieux jugé des convenances. Je crois que j’ai encore quelque chose qui pourra vous convenir.

M. Jourdain. — Donnez.

Vous dont l’aspect est un délice
Pour tous les cœurs, pour tous les yeux,
On voit en vous l’astre propice
Qu’imploraient tant de malheureux.
L’astre dont la vertu secrète
Les réchauffait sur des glaçons,
Dont les rayons dans la disette
Font pour eux naître des moissons.

Mais, princesse, en vain on croit lire
Ce qui se passe en votre cœur ;
Cette blancheur que l’on admire
N’égale point votre candeur.
La douceur qui règne en votre âme
Voudrait encor des traits plus doux,
Et quoi qu’on en dise, madame,
Votre âme est plus belle que vous.

Oh ! cela n’est pas un beau compliment, et si je le dis à la princesse, j’ai peur qu’elle n’en soit offensée et qu’elle ne me donne un soufflet.

Le Philosophe. — Allez, monsieur, si cela arrive, je le prends sur ma joue.

M. Jourdain. — À la bonne heure. Je vous remercie, et vous prie de revenir demain.