Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/141

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‑à‑dire que la population de la France, depuis environ quatre‑vingts ans, a reçu un accroissement de plus du dixième.

Quoique, dans ses calculs, M. de La Michaudière ait donné la préférence aux moindres villes sur les villes les plus considérables, parce que ces dernières peuvent avoir des causes d’accroissement fortuit et passager qui ne prouvent rien, ou qui prouvent même la dépopulation de l’État, j’aurais voulu, pour le dire en passant, qu’il eût plutôt pris le relevé des naissances dans les villages de ces généralités, parce qu’en comparant les deux époques on aurait pu juger s’il y a en effet quelque réalité à l’opinion généralement reçue que les campagnes se dépeuplent, tandis que les habitants augmentent dans les villes. Dans le fait, je crois que la question de la population n’a pas encore été envisagée sous son véritable point de vue, et qu’il s’en faut bien qu’elle soit éclaircie. Les hommes n’ont, dans aucune science, aussi puissamment déraisonné que dans la science du gouvernement et de l’administration des États. Il est incontestable que la grande population est un signe de bonheur et de prospérité, et de la bonté du gouvernement. Partout où les hommes se trouvent bien, il ne reste point de place vide. Jamais, sous la tyrannie de l’Espagne, les marais de Hollande ne se seraient couverts de villes riches et florissantes qui regorgent d’habitants. La liberté batave a produit ce miracle ; et s’il n’avait pas fallu cent années d’industrie et d’efforts contre la monarchie la plus formidable de l’Europe, et contre la puissance encore plus formidable des éléments, jamais la puissance des Provinces-Unies n’aurait existé. Mais un mauvais gouvernement ne dépeuple pas ses États dans la même proportion qu’un bon gouvernement remplit les siens. Il faut tourmenter les hommes longtemps ; il faut surtout les attaquer dans cette portion de liberté naturelle qu’aucun homme, quand même il le voudrait, ne peut engager à son souverain, et que son souverain n’a nul véritable intérêt de lui enlever ; il faut les vexer cent ans de suite pour des opinions indifférentes, pour des formules absurdes, pour des pratiques ridicules ; il faut les livrer sans retour à l’exaction et à la rapine journalière du financier qui transige avec son prince de la sueur de ses sujets, avant de les déterminer à changer de sol, surtout si leur sol natal a les avantages d’un climat doux et favorable. L’acte de la propaga-