Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/219

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intérêt de l’instruire, ce qui ôte au discours sa vérité et sa force. Remarquez que les deux dernières tragédies de M.  de Voltaire, savoir, les Scythes et Olympie, ne sont proprement que des opéras dans le goût de Metastasio, et qu’avec très-peu de changements on en ferait des drames lyriques.

Quant au ton, il a cette fausseté qui règne en général dans la tragédie française, et qu’un grand homme comme M.  de Voltaire pouvait seul bannir de notre théâtre. La peinture des mœurs étrangères est sans doute précieuse ; mais pourquoi y employer des couleurs françaises ? Cette fausseté me rend la tragédie insupportable, et j’aime mieux ne m’y jamais rencontrer avec des Romains, des Grecs, des Perses et des Scythes, que d’entendre cette suite d’idées françaises qui sort de la bouche de tous ces gens-là. Ils ne disent pas ce qu’ils doivent dire ; ils disent ce que j’en dois penser. Ces Scythes, par exemple, qui se vantent sans fin et sans cesse de leur simplicité, comme si un peuple simple savait qu’il l’est ! Ils rejettent les présents des Persans comme des

Instruments de mollesse, où, sous l’or et la soie,
Des inutiles arts tout l’essor se déploie.


Il n’y a qu’un peuple très-raffiné par le luxe qui puisse ainsi parler de quelques meubles de luxe. Il est d’ailleurs d’expérience générale qu’un peuple sauvage a toujours reçu avec avidité les meubles des peuples policés, quoiqu’il n’en connût pas l’usage, par la seule raison que la nouveauté a toujours : droit d’intéresser et l’homme sauvage et l’homme policé. Voulez-vous, à présent, savoir à quel point cette fausseté est enracinée sur notre théâtre ? lisez le portrait qu’Indatire fait d’Obéide dans la première scène de cette tragédie :

De son sexe et du nôtre elle unit les vertus :
Le croiriez-vous, mon père ? elle est belle et l’ignore ;
Sans doute elle est d’un rang que chez elle on honore :
Son âme est noble au moins, car elle est sans orgueil ;
Jamais aucun dégoût ne glaça son accueil ;
Sans avilissement à tout elle s’abaisse ;
D’un père infortuné soulage la vieillesse,
Le console, le sert, et craint d’apercevoir
Qu’elle va quelquefois par-delà son devoir.