Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/226

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postérité, il peut compter avec plus d’assurance encore sur l’ingratitude de son siècle. Il court deux dangers inévitables : l’un, de combattre les opinions, les abus, les préjugés, sans le ressort de la crainte, puisqu’il n’a aucun pouvoir extérieur ; l’autre, de ne pouvoir rien entreprendre sans faire sentir à ses égaux sa supériorité d’esprit ; sorte d’empire que la vanité et la sottise ne savent pardonner. Ce n’est donc que lorsque la génération, et avec elle les idées, se sont renouvelées ; lorsque les barrières que l’intérêt a opposées aux progrès de la raison sont forcées, que l’homme de génie commence à prendre du génie et à exercer du pouvoir sur les esprits. Son empire et sa gloire ne peuvent commencer que lorsqu’il a cessé de vivre.

Voilà l’histoire, chez tous les peuples et de tous les temps, de ces sages qui ne se sont pas bornés à plaindre les erreurs des hommes, et qui ont voulu y apporter des remèdes ; et j’ose croire que si M. Thomas nous avait montré l’homme de lettres sous ce point de vue, son tableau en serait devenu moins emphatique, plus intéressant et plus pathétique. Jamais tableau n’eût été présenté au public plus à propos. Quel est aujourd’hui parmi nous l’homme de lettres de quelque mérite qui n’ait éprouvé plus ou moins les fureurs de la calomnie et de la persécution, qui n’ait été dénoncé au gouvernement comme écrivain dangereux, comme mauvais citoyen, et presque comme perturbateur du repos public ; qui ne soit regardé, par le plus grand nombre de ses compatriotes, comme un homme que la société ne tolère que par un excès d’indulgence ? Si des mœurs plus adoucies garantissent nos philosophes de ces violences qui ont signalé l’atrocité des siècles barbares, c’est avec regret que leurs ennemis les voient à l’abri de leur rage ; et le poison de la haine agissant toujours avec la même activité, faut-il s’étonner qu’à la longue ni l’homme d’État, ni le magistrat, ni la partie du public la plus saine et la plus équitable, ne puissent se défendre de son atteinte, et que, fatigué par des cris continuels, on se persuade enfin que celui qui est toujours attaqué ne saurait être entièrement sans reproche ?

M. Thomas n’a pas osé tenter d’arracher à la calomnie son poignard, ni de faire rougir son siècle de ses injustices ; mais, en accordant à l’homme de lettres une influence subite qu’il n’eut jamais, en le plaçant de son vivant à côté de l’homme