Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/272

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Anglais, les Juifs, qu’il ne lui en a coûté de peindre Séjan, Tibère, Agricola.

Pourquoi trouvons-nous donc si peu de justesse et de vérité dans la plupart des relations de nos voyageurs ? C’est que la plupart de nos voyageurs n’ont eu ni assez de philosophie, ni assez de connaissances pour embrasser les objets qu’ils voulaient nous faire connaître ; c’est que la plupart ont porté dans leurs recherches un esprit de système et de parti qui ne leur a permis de voir que ce qui convenait à leur but particulier ; c’est qu’ils ont cherché à être amusants, au lieu d’être vrais, et que rarement ils ont donné à leur travail le temps nécessaire pour l’exécuter avec succès. Parmi les modernes qui ont travaillé dans ce genre, on ne peut guère citer que Chardin et Muralt ; encore ce dernier a-t-il vu avec plus d’esprit que d’impartialité. On sent, comme dit Rousseau, combien il hait les Français, jusque dans les éloges qu’il leur donne.

Pour bien juger le caractère d’un pays, vaut-il mieux lui être étranger, ou en être citoyen ? Il semble d’abord qu’un homme élevé au milieu de ses compatriotes, en supposant toutes les autres conditions égales, peut parvenir plus facilement à les connaître que ne le pourrait un étranger ; cependant n’y a-t-il pas aussi quelques rapports qui rendent le point de vue où se trouve l’étranger plus favorable ? Pour bien observer, il faut éviter également les faux jours de la surprise et ceux de l’habitude. Nous passons trop légèrement sur les objets qui nous sont familiers, nous sommes trop étonnés de ceux qui nous sont absolument nouveaux. Dans le premier cas, nos observations risquent d’être plates et communes ; dans le second, il est à craindre que nous ne nous laissions séduire par une fausse apparence de merveilleux.

Pour faire donc une relation aussi intéressante qu’instructive, un voyageur devrait, ce me semble, commencer par noter soigneusement toutes les singularités qui l’ont frappé au premier coup d’œil, mais ne se permettre d’en rendre compte qu’après avoir approfondi la langue, la religion, la constitution politique, les mœurs, les usages et le ton du pays qu’il veut observer.

Ce qui rend sans doute aujourd’hui la connaissance des différents peuples de l’Europe si difficile, c’est que l’on peut dire