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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

drame en prose et en cinq actes, enrichi de figures en taille-douce avec un essai sur le drame sérieux[1]. Cette pièce, sifflée et huée, était entièrement tombée à la première représentation ; elle s’est relevée ensuite à la seconde, et elle a eu beaucoup de succès au théâtre. Ce succès m’a toujours paru l’effet du jeu de Préville et de Mlle d’Oligny, dont le prestige n’a jamais réussi à me dérober la stérilité du génie de l’auteur, la platitude et l’aridité de son style. La lecture de la pièce m’a confirmé dans le jugement que j’en ai porté à la représentation. Plus le sujet était intéressant, pathétique et beau, plus la manière dont M. de Beaumarchais l’a traité me paraît déposer contre son talent et le déférer au tribunal de la critique comme un homme sans aucune ressource. Il dit dans son discours préliminaire que son premier projet était d’écrire en faveur du drame sérieux attaqué souvent par des critiques peu judicieuses ; mais que, considérant qu’un bel exemple prouve plus que les préceptes les mieux développés, il avait désiré avec passion de pouvoir substituer l’exemple au précepte. Cette entreprise ne l’a pas empêché de nous communiquer encore ses idées sur ce genre dans le discours préliminaire qu’il a intitulé Essai sur le drame sérieux. Cet essai confirme des idées assez justes, mais communes, aussi peu heureusement développées que les sentiments des acteurs dans sa pièce, Ainsi et les préceptes et l’exemple seraient également défavorables à la cause que M. de Beaumarchais a voulu défendre, si malheureusement la bonté de cette cause dépendait de la bonté de l’avocat. Cet avocat est de ces gens dont le suffrrage embarrasse ; on aimerait autant s’en passer. Il ne devrait pas être permis à tout le monde indistinctement d’aimer les bonnes choses. M. de Beaumarchais n’a rien en lui qui doive lui donner du goût pour les beaux-arts ; de quoi s’avise-t-il de les aimer et de s’en occuper ?

J’avouerai cependant que le public ne m’a pas paru exempt de justice à l’égard de M. de Beaumarchais. Je crois que sa pièce a éte jugée rigoureusement, mais équitablement à la première représentation, et qu’elle ne se relèvera jamais de cet arrêt malgré le succès passager qui l’a suivi ; mais on n’a pas eu assez d’équité pour le discours préliminaire. Comme M. de

  1. Cinq figures de Gravelot, gravies par Duclos, Masquelier, etc.