Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/482

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
472
CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

vers, son avis sur la querelle de M. de Voltaire avec M. Rousseau, et ces deux sottises ne se trouvèrent pas sitôt faites qu’il se mit la corde au cou, et qu’il implora par dix lettres particulières la clémence de celui qu’il avait offensé publiquement. M. de Voltaire parut pardonner. Il se plaignit seulement des mauvais procédés de M. Dorat à son camarade M. de Pezay, dans une lettre beaucoup trop longue et beaucoup trop solennelle, qui a été insérée dans les papiers publics. Aujourd’hui il prouve à M. Dorat que pour attendre on ne perd rien avec lui. Cette épigramme a été sue par cœur, récitée et répétée en un clin d’œil dans toutes les maisons de la ville et faubourgs de Paris. M. Dorat, pour toute réponse, vient de faire amende honorable par les vers suivants :

Je m’exGrâce, grâce, mon cher censeur !
Je m’exécute, et livre à ta main vengeresse
Et ma prose, et mes vers, et mon brevet d’auteur ;
Et mJe puis fort bien vivre heureux sans lecteur ;
Par pitié, seulement, laisse-moi ma maîtresse,
Laisse en paix les amours, épargne au moins les miens.
Je n’ai point, il est vrai, le feu de ton génie,
Et mTes agrèments ; mais chacun a les siens,
Je m’exOn peut s’arranger dans la vie :
Je m’exSi de mes vers Chloé s’ennuie.
Et mPour l’amuser, je lui lirai les tiens.

— Dieu pardonne à M. Dorat, qui sait pardonner si chrétiennement les injures épigrammatiques ! Dieu lui pardonne à son tour d’avoir mis tous nos rimailleurs, et même une partie de nos prosaïques, dans le goût d’orner leurs insipides productions d’estampes et de vignettes : pratique également funeste au bon goût de dessin, et à la bourse des acheteurs ! Un poëte campagnard#1 adresse à son ami citadin une épître sur l’innocence de la vie champêtre sous le titre : l’Heureux Jour, épître à mon ami ; et parce que M. Eisen y a mis une mauvaise estampe et quelques maussades vignettes en cartouches, il faut que nous payions trente-six sols ce qui n’en vaut pas six. Je soutiens que ce triste poëte campagnard n’a jamais passé un jour [1]

  1. Le marquis de Pezay. Les illustrations d’Eisen, gravées par Massard et de Ghendt, sont, dit le Guide de MM. Cohen et Mehl, d’une beauté remarquable.