Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/60

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aux gouvernements qu’il ne faut point d’artifice pour se faire obéir, que l’état naturel de l’homme est de se laisser gouverner, parce que son état naturel est de vivre en société, et que toute société suppose un gouvernement ; que plus les hommes sont éclairés, plus il est aisé de leur commander, parce que les lumières adoucissent les mœurs, et que, par leur secours et leur longue influence, un troupeau de bêtes féroces s’apprivoise et contracte à la fin les mœurs des moutons ; que jamais peuple n’a cherché à secouer un joug tant soit peu supportable ; qu’il n’a cessé d’obéir que lorsqu’il s’est vu poussé à bout par de longues et absurdes violences, ou que, séduit par ces mêmes mensonges sur lesquels on voudrait cimenter les appuis du trône, il a cédé à ceux qui ont osé échauffer son imagination et, à la faveur de certaines idées creuses et métaphysiques, le conduire au fanatisme et à la révolte ; que fonder le droit de régner sur je ne sais quelle émanation divine dont on n’a jamais vu ni patentes ni diplôme, c’est le faire dépendre de mille explications, de mille modifications, de mille restrictions dont l’ambition et la fourberie sont sûres de faire leur profit dans les temps orageux et difficiles ; qu’enfin le genre humain aurait été incomparablement plus heureux, plus soumis, mieux et plus sûrement gouverné, si son bonheur eût voulu que jamais idée métaphysique ne fût choisie pour base des devoirs de l’homme et du citoyen.

Toute tête saine et dont la raison n’est point altérée par la longue habitude des sophismes et du verbiage sans idées conviendra qu’il n’y a point de vérité morale mieux établie que les propositions que je viens dénoncer. Il est même à croire que la vérité de ces propositions frappera à la longue tous les hommes, que les fripons perdront peu à peu leur crédit, et que les princes et les peuples en seront plus heureux ; mais malheureusement nous ne sommes encore qu’au crépuscule d’un si beau jour, et le philosophe, d’autant plus agité qu’il connaît mieux le mal et ses ravages, est réduit à s’écrier douloureusement : Ah ! que l’aurore tarde à paraître !

Il semble que ce soit pour hâter ce moment désiré que le Philosophe ignorant ait voulu se rendre compte de toutes ses ignorances, et en publier la liste, afin d’inviter tout philosophe à faire sa confession avec la même bonne foi, et tout être pen-