Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puériles. « Si les ouvrages des hommes, dit-il, supposent une intelligence, j’en dois reconnaître une bien supérieurement agissante en regardant l’univers. J’admets cette intelligence suprême, sans craindre que jamais on puisse me faire changer d’opinion. Rien n’ébranle en moi cet axiome : Tout ouvrage démontre un ouvrier. » Qui croirait que ce fût là la manière de procéder d’un philosophe qui n’a que deux paroles : Je comprends, ou bien : Je ne comprends pas ? « J’admets sans craindre qu’on puisse me faire changer d’opinion » n’est certainement pas du dictionnaire de cette philosophie. Cela est bon pour professer un article de foi : M. Pluche est un raisonneur de cette force. Tout ouvrage démontre un ouvrier ; mais qui vous a dit que l’univers est un ouvrage ? Vous convenez ailleurs que le passage du néant à la réalité est une chose incompréhensible, que tout est nécessaire, et qu’il n’y a point de raison pour que l’existence ait commencé ; et puis, vous venez me parler d’ouvrage et d’ouvrier : vous voulez sans doute jouer avec les mots. Une production naturelle n’est point un ouvrage : c’est une émanation nécessaire. Vous n’êtes pas l’ouvrage de votre père, parce qu’en vous faisant il ne savait pas ce qu’il faisait. Vous dites que, puisque tout est moyen et fin dans votre corps, il faut qu’il soit arrangé par une intelligence. Moi, j’en conclus simplement que le mouvement et l’énergie de la matière sont des qualités certaines, existantes, agissantes, quoiqu’elles soient réellement incompréhensibles. En m’arrêtant de bonne foi à ce que je ne peux ni nier, ni comprendre, j’évite une foule d’inconvénients, d’absurdités et de contradictions dont vous ne vous tirerez jamais lorsque vous aurez une fois introduit l’intelligence suprême dans votre philosophie. Mais pourquoi avancer de ces pauvretés, lorsqu’on se permet d’en combattre tant d’autres qui ne sont pas plus déraisonnables, ou qui sont même une suite nécessaire des premières ? Pourquoi dire qu’il fallait que Spinosa fût ou un physicien bien ignorant, ou un sophiste gonflé d’un orgueil bien stupide, pour ne pas reconnaître une Providence lorsqu’il respirait et qu’il sentait son cœur battre ? C’est qu’on a eu la sottise de lier le système métaphysique, où tout est ténèbres, avec les idées morales, où tout est clair et précis, et de croire que s’il n’y avait plus de déraisonnements à perte de vue sur l’Être suprême, il n’y aurait plus de morale