Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
JUIN 1768.

Alpes et qu’il n’écrit pas en italien ; en second lieu, parce que tout le monde est aujourd’hui dans le secret, et qu’on ne peut pas exterminer tout le monde.

— On accuse la manufacture de Ferney d’une autre production qui porte le titre suivant : Examen de la nouvelle histoire de Henri IV, de M. de Bury, par M. le marquis de B., lu dans une séance d’académie, auquel on a joint une pièce analogue ; Genève, chez Claude Philibert. Cet écrit a cent pages in-octavo. S’il est du chef de la manufacture, il faut convenir qu’il n’a jamais déguisé son style et sa manière avec plus d’adresse[1]. Vous y remarquerez des tournures qui ne sont point du tout les siennes ; il y a même des idées qui sont opposées à d’autres idées qu’on lui connaît. Mais tout cela pourrait bien n’être que l’effet d’une extrême adresse : car si cet écrit n’était pas de lui, il resterait toujours la difficulté de savoir de qui il peut être, parce qu’il est rempli de traits excellents qui ne peuvent guère venir d’ailleurs. Pourquoi donc ce chef, dont les ouvrages ont pour l’ordinaire une empreinte si brillante et si aisée à reconnaître, a-t-il pris tant de soins à nous la dérober dans cette occasion, jusqu’à renoncer à son orthographe ? En voici la raison. M. de Bury est un petit polisson qui ne mérite aucune attention : il était digne d’écrire l’histoire de Henri IV, à peu près comme Duclos était digne de succéder à M. de Voltaire dans la place d’historiographe de France, ou comme M. de La Rivière et son docteur Quesnay sont faits pour figurer à côté de Montesquieu. Aussi l’auteur de l’Examen se soucie-t-il très-peu de relever les impertinences de Bury, mais il voulait se servir de cette occasion pour toucher à plusieurs points excessivement délicats, et c’est pour cela qu’il s’est masqué jusqu’aux dents. On lit dans les premières pages un portrait du petit-fils de Schabas, possesseur du trône de Perse, qui est d’une hardiesse incroyable. L’auteur s’élève dès le commencement, avec beaucoup de force, contre la lâcheté des historiens modernes. Il cite un trait de l’Histoire de Louis XI, par Duclos, pour exemple ; il n’oublie pas non plus de dire à M. Thomas son

  1. Cette brochure est de La Beaumelle, à qui il était interdit d’écrire depuis son exil en Provence et qui pria son ami, le marquis de Belestat, de se la laisser attribuer. Voir Supercheries littéraires (édition G. Brunet et P. Jannet). t.  I, col. 434e, ou Bibliographie voltairienne, No 274.