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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

chaque fois, on découvre quelque nouvelle finesse, et peu à peu le public conçoit, entend et est enivré de plaisir. Aussi pour donner une idée parfaite des pièces de cet auteur, il faudrait les copier mot pour mot, parce qu’il n’y en a pas un d’oisif chez lui, pas un qui n’ait son but et son effet. Le misérable rôle de soubrette du Mariage caché m’a fait penser combien celui de Gotte, dans la Gageure, était excellent et vrai. L’un ne tient pas pourtant plus au fond de la pièce que l’autre ; mais c’est qu’un grand peintre ne néglige pas le plus petit coin de son tableau, et qu’un barbouilleur n’en sait soigner aucun. Un de nos juges a dit en sortant de la première représentation que Sedaine ne devait pas faire de gageure sans mettre Monsigny de moitié. On lui a répondu qu’en effet la musique avait infiniment contribué au succès du Philosophe sans le savoir. Moi, je lui aurais observé qu’à moins d’avoir le tact très-exercé, il est fort imprudent de juger une pièce de Sedaine en mal sur une première représentation ; on court risque d’avoir bientôt mauvaise contenance avec les gens qui ont la mémoire bonne et qui se rappellent nos premiers jugements. M. d’Alembert prétend que sur les ouvrages nouveaux ou sur tout autre objet qui occupe le public, il faudrait prendre l’opinion des juges les plus déterminés, par écrit et signée de leur main, et se contenter, pour les faire rougir, de la leur remettre sous les yeux au bout d’un certain temps. C’est que c’est un détestable métier que celui de juger, et je l’éprouve tous les jours. Si vous voulez vous amuser, il faut lire ce que les journalistes écriront sur la Gageure dans ce premier moment. Vous verrez avec quelle confiance ils déraisonnent sur une pièce dont ils ne savent pas seulement démêler le sujet d’avec les accessoires.

— L’Académie royale de musique a donné, le 10 de ce mois, Daphnis et Alcimadure, pastorale languedocienne, qui fut jouée en 1754 pour la première fois, et en patois languedocien[1]. Jélyotte et Mlle Fel, qui étaient alors au théâtre, étaient tous les deux de Gascogne, et pouvaient l’exécuter dans leur patois, qui est joli ; aujourd’hui on a été obligé de la mettre en français, parce que M. Legros et Mme Larrivée n’auraient pu la chanter en patois. Les paroles languedociennes, la traduction fran-

  1. Voir tome II, p. 429.