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JUILLET 1768.

Avec le secours de l’abbé Boudot, petit employé de la Bibliothèque du Roi et son ancien dévoué, le pauvre président a fait une nouvelle édition de son Abrégé chronologique de l’histoire de France ; mais, après avoir ainsi doté pour la dernière fois un enfant chéri, sa tendresse paternelle lui a rappelé une bâtarde, fruit ignoré d’une passion malheureuse, et sa faiblesse l’a porté à la reconnaître et à l’établir avant de mourir. Cette bâtarde c’est une vestale appelée Cornélie. Il y a cinquante-cinq ans que cette tragédie a paru sur le théâtre de la Comédie-Française son papa prétend que c’est avec succès ; cependant ni son succès ni son nom n’étaient parvenus à ma connaissance, et tous ceux que j’ai pu interroger n’en avaient jamais entendu parler. Quoiqu’en 1713, année de la représentation de cette pièce[1], le Théâtre-Français fût livré aux tragédies faibles de Campistron, aux tragédies dures de Crébillon, aux tragédies froides et alambiquées de La Grange-Chancel, aux tragédies tendres et plates de La Motte, et que par conséquent le goût du public fût bien mauvais, malgré l’Art poétique de Despréaux et malgré la versification divine des pièces de Racine, il fallait que le succès de la vestale Cornélie fût bien médiocre, puisque son papa n’a jamais osé l’exposer au grand jour de l’impression, et que personne ne s’était aperçu de cette rigueur.

Le séjour de M. Horace Walpole en France a été l’époque de plusieurs forfaits littéraires. M. Walpole est fils de ce célèbre ministre du roi George II, qui se vantait d’avoir dans son cabinet le tarif de toutes les probités d’Angleterre, et qui le prouvait assez souvent. Il passe lui-même pour un homme de beaucoup d’esprit, et je l’ai assez souvent rencontré dans le monde pour n’en faire aucun doute. Il a un grand usage du monde et un ton excellent ; et malgré l’air blême et défait que les fréquents accès d’une goutte douloureuse lui ont laissé, il m’a paru avoir beaucoup d’agrément et de gaieté dans l’esprit, et une plaisanterie-fine et piquante. C’est lui qui a fabriqué la lettre du roi de Prusse à J.-J. Rousseau, qui a joué un si grand rôle dans la querelle de David Hume[2]. Premier forfait. C’est lui qui a engagé le président Hénault à reconnaître, avant de

  1. Le 27 janvier. Selon Léris, Cornélie fut faite en commun avec Fuzelier.
  2. Voir t.  VI, P. 456, et t.  VII, P. 11.