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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/216

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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

— L’idée du conte suivant est connue, et le mot à mot aussi : C’est M. Guichard qui vient de les versifier.

Lise et Myrtil, couple uni par l’amour,
Dans un bon lit propre à servir leur flamme,
Plus chaudement se caressaient un jour ;
L’extase approche, on s’émeut, on se pâme.
« Ah ! dit Myrtil, sans la peur d’un enfant… »
Et Lise en feu, le serrant, lui réplique :
« N’arrête point, va toujours, cher amant,
Quand je devrais faire une république ! »

M. de Crébillon, fils de feu Crébillon le tragique, auteur du Sopha, de Tanzaï et d’autres romans licencieux, vient d’en publier un nouveau intitulé Lettres de la duchesse de *** au duc de ***, deux parties in-12. La duchesse de *** est d’abord la confidente des amours du duc de ***, et puis ce duc devient amoureux d’elle, sans pouvoir être heureux avec elle, parce qu’elle est sage et qu’elle ne veut pas faire une infidélité à son mari, qui lui en fait cependant de toute espèce. C’est cela à peu près, ou autre chose : car je veux mourir si je lis jamais cet ennuyeux et détestable persiflage, ou si je crois possible que quelqu’un puisse le lire d’un bout à l’autre. Cela est détestable et pour les mœurs, et pour le goût, et pour le style. Dans un pays où le bon goût seulement serait respecté, Crébillon courrait risque d’être mis au carcan avec écriteau par devant et par derrière, portant les mots : Corrupteur des mœurs et du bon goût. On y mettrait encore son âge, pour mieux faire sentir à quel point il est coupable de faire ce métier honteux à l’âge de plus de cinquante ans. Ici ces Lettres ont paru avec approbation et privilège du roi : c’est la raison qui est proscrite, ceux qui outragent les mœurs sont toujours sûrs d’être à l’abri des tracasseries. Cependant il est certain que cette sage et respectable duchesse qui écrit les Lettres de Crébillon a le manège, le style et les expressions d’une femme perdue. Crébillon attribue la chute de ce roman au tort qu’il prétend avoir eu de faire de sa duchesse une femme sage. Il croit que toute la sagesse d’une femme se réduit à ne pas coucher avec un homme qui lui fait une déclaration ; il ne se doute pas seulement que le ton, l’allure, les sentiments d’une femme honnête, sont à mille lieues