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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/479

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minable de la liberté de la chasse. Voilà comme on cherche toujours des causes merveilleuses aux effets les moins merveilleux. On ne veut pas me consulter à la cour, on ne veut pas m’écouter dans le monde : on a tort, et la France se perd ; j’aurais dit le mot de l’énigme : c’est que ce que l’on attribue à un projet comploté par tout le parti philosophique n’est que l’effet très-naturel de la faiblesse du génie de M. Marmontel et de son peu de talent pour le genre dramatique ; c’est qu’il est bien plus aisé d’être outré que d’être simple ; d’imaginer des mœurs et des événements romanesques que de trouver les événements vrais, et de peindre les mœurs telles qu’elles sont, d’une manière intéressante ; c’est que ces touches de mœurs qui supposent dans le poëte un goût exquis, qui exigent de lui une justesse extrême, sont seules capables de donner de la couleur et de la physionomie à ses personnages, et qu’il ne faut pas croire, parce que les petits drames de M. Sedaine ont un air simple et facile, qu’il soit aisé d’en faire de pareils.

Le défaut de naturel gâte tout dans ce Silvain. Pour nous donner l’idée d’un bon seigneur, le poëte lui fait permettre la chasse à tous ses paysans. Ce n’est pas cela, monsieur Marmontel ; vous n’avez trouvé là qu’un moyen sûr de détruire entièrement le gibier dans une terre : un bon seigneur, qui a du sens et qui veut faire le bien, craindrait, en accordant à ses paysans une permission illimitée de chasse, de les détourner des soins qu’exigent leurs champs, de leur faire perdre l’amour de leur métier, et d’en faire une troupe de vagabonds et de vauriens. Il se contente de faire tuer par ses gardes assez de gibier pour que le cultivateur n’en soit pas vexé ; et quand il veut faire du bien à son village, il tient l’enfant de son voisin, parce que c’est un brave homme ; il prête quarante écus à l’autre, parce qu’avec cette avance il fera une entreprise utile ; il marie, au moyen d’une dot de cent écus, la fille de ce bon vieillard qui a besoin d’un gendre pour soigner son petit bien ; il donne une vache à la pauvre veuve qui demeure au bout de l’avenue du château, et cette vache sert à occuper son loisir en même temps qu’elle lui procure sa subsistance. Pour des chèvres, j’en ai vu une quantité de distribuées dans son village ; mais mon bon seigneur ne ressemblait en rien au seigneur de M. Marmontel.