Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

propose de lui confier un secret important si elle veut lui promettre de lui donner sa main le lendemain, en reçoit la promesse, et lui apprend qu’elle n’a plus rien, et que son frère a perdu toute sa fortune. Cette scène est une des plus intéressantes de la pièce anglaise, et suppose véritablement du talent dans l’auteur. Béverley n’est pas seulement le jouet de sa passion, il l’est encore d’une bande de filous qui ont pour chef un M. Stuckely qu’il a le malheur de regarder comme son meilleur ami, et qui, trop justement suspect à Leuson, cherche à son tour à rendre celui-ci suspect à Béverley. La pièce s’avance au milieu de pertes d’autant plus inévitables qu’elles sont une suite du complot formé par ces fripons. À la fin du quatrième acte, Beverley ayant tout perdu, le désespoir s’empare de lui. Il n’ose plus rentrer chez lui ; il couche dans la rue, au milieu des pierres, où il est trouvé par le vieux Jarvis et ensuite par sa femme, et bientôt après par la garde, qui le cherchait pour l’arrêter de la part de ses créanciers. Le cinquième acte se passe dans la prison, où Béverley, ne pouvant plus soutenir son sort, s’empoisonne, et termine sa vie dans les bras de sa femme et de son ami Leuson, au milieu des plus cruels remords.

Voilà le fond de la pièce anglaise, que M. Saurin a conservé tout entier. Il en a seulement retranché les rôles des filous, et a tâché de rendre celui de Stuckely plus supportable, en le montrant tout aussi acharné à la perte de Béverley, mais par un motif différent. Stuckely a été autrefois amoureux de Mme Beverley, son hommage a été rejeté ; il a dissimulé son ressentiment, et cherche à venger l’amour offensé par la ruine d’un rival préféré. M. Saurin a voulu rendre la situation du joueur encore plus effroyable qu’elle n’est dans la pièce anglaise, en lui donnant un fils. Cet enfant, âgé de sept à huit ans, que la mère a laissé dans la prison auprès de son père, pendant qu’elle est allée épuiser toutes ses ressources pour l’en tirer ; cet enfant, dis-je, dort paisiblement dans un fauteuil, tandis que son malheureux père, livré aux plus cruelles agitations, se détermine à finir sa vie par le poison. Contraste beau et vraiment pathétique de l’innocence du premier âge, avec les tourments d’une vie criminelle ! Lorsque Béverley a pris le poison, il aperçoit son fils. Il réfléchit que cet enfant va se trouver