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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/141

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famille des bassets et de la communauté des courtauds de boutique. Tout est ignoble dans ce Dorseville ; et sa figure courte et épaisse, et ses traits, et son air de visage, et sa démarche, et ses gestes, et le son de sa voix glapissante, et faible, et sa manière de prononcer. Comment diable se fait-on comédien avec toutes ces disgrâces, dont une seule suffit pour éloigner un homme sensé d’un métier si difficile ?

M. Robinet, auteur du livre intitulé De la Nature, qui, malgré l’incongruité de ses idées systématiques, n’est pas un ouvrage sans mérite, vient de publier, en plusieurs volumes in-12, une Analyse raisonnée de Bayle, ou Abrégé méthodique de ses ouvrages, particulièrement de son dictionnaire historique et critique, dont les remarques ont été fondues dans le texte, pour former un corps instructif et agréable de lectures suivies. Ce titre, qui porte l’année 1755, quoique le livre n’ait paru que cette année, vous met au fait de la méthode suivie par le nouvel abréviateur de Bayle. Il y a bien quinze ans que l’abbé de Marsy publia une Analyse de Bayle, qu’il se proposait de continuer : elle fut supprimée. Les jésuites, qui étaient encore puissants, firent des démarches auprès du procureur général ; l’abbé de Marsy fut menacé s’il osait continuer son travail. Il avait des ménagements à garder ; il avait été jésuite, et jésuite imprudent, travaillant de toutes ses forces à mériter l’épitaphe de M. le duc de Villars[1] ; il arriva un éclat qui le fit chasser par les révérends Pères. Au lieu de continuer l’Analyse de Bayle, il se fit continuateur de l’Histoire ancienne de Rollin, en compilant sur le même plan l’Histoire des Chinois, Japonais, et des peuples modernes : il mourut au milieu de cette entreprise dont on était assez content. Je crois que nous n’avons rien perdu à l’interruption de son Analyse de Bayle, puisque M. Robinet s’en est chargé[2]. Je ne sais combien de volumes le nouvel abréviateur nous donnera ; mais je sais que s’il y veut mettre le soin nécessaire, il a toute la capacité qu’il faut pour nous donner un

  1. Voir plus haut, p. 123. Quant à l’abbé de Marsy, il avait, pour nous servir de l’expression de Voltaire, « estropié par ses énormes talents un enfant charmant de la première noblesse du royaume, » le prince de Guéménée. (T.)
  2. Grimm n’avait pas remarqué que des huit volumes in-12 publiés alors, les quatre premiers étaient la réimpression du travail de l’abbé de Marsy, déjà mentionné tome II, p. 504, et que les quatre derniers seulement étaient de Robinet. Il relève cette erreur dans le mois suivant. (T.)