Aller au contenu

Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cienne prétention de six cent mille livres qui avait été engloutie dans la banqueroute générale du temps du système de Law ; il en fit l’acquisition pour six mille livres. Nanti de ces papiers en qualité d’acquéreur, il trouva, en qualité de ministre, de la justice du roi et de la plus urgente nécessité de l’État, de les acquitter à leur valeur primitive ; et, après les avoir fait payer au trésor royal en qualité d’homme qui sait calculer, il les prêta au roi à fonds perdu sur sa tête et sur celle de sa femme, et se fit, moyennant six mille livres une fois payées, une rente viagère de soixante mille livres par an. Cette opération est une des plus mémorables de son ministère ; elle prouve qu’on peut être un grand saint et grand fripon tout ensemble, et que M. de Villeroy avait tort de douter de la validité de la canonisation de saint Vincent de Paul, parce qu’il l’avait souvent vu tricher au piquet.

Il paraît un volume in-4° de près de trois cents pages intitulé Manifeste de la république confédérée de Pologne, du 15 novembre 1769  ; traduit du polonais. Pour que ce dernier point devienne une vérité, il faudra se dépêcher de traduire cet écrit en polonais, où je crois qu’il n’existe point encore. Si mes Mémoires sont fidèles, il a été fabriqué ici, sous les auspices de M. le comte Wielhorski, et je ne sais si notre savant abbé de Mably n’y a pas mis la main. Ce bon abbé se croit très-sincèrement une tête bien autrement judicieuse et bien autrement solide que celle du patriarche ou du président de Montesquieu ; et quand on l’entend raisonner quelquefois sur les gouvernements étrangers, et prononcer dans la société ses oracles sur la science de la politique, on croit se trouver vis-à-vis d’un enfant qui fait l’important en débitant des sottises. Je me réjouis parfois du ton de bonté doctoral avec lequel il m’apprend quelque principe ou quelque lieu commun que mon professeur de droit public de l’université de Leipzig me dictait, en mon jeune temps, dans ses cahiers, en mauvais latin, à la vérité, mais avec beaucoup plus de méthode, et qu’il appliquait surtout avec beaucoup plus de bon sens que le docteur Mably ; il se persuade alors de la meilleure foi du monde qu’il me découvre les trésors de la science dont je n’ai jamais eu connaissance, et mon respectueux silence le confirme dans cette idée. Lorsque M. Jennings, qu’on appelle quelquefois en son pays le