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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/186

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très-bien réglé, car la réponse de l’empereur de la Chine à l’Épître du patriarche d’Occident[1] est déjà arrivée. Je crois que c’est M. de La Harpe qui a servi en cette occasion à Sa Majesté chinoise de secrétaire des commandements et du cabinet.


Le grand roi de la Chine au grand Tien du Parnasse[2].
Ton épître me plaît, mais un mot de préface,
Quelques notes, au moins, m’auraient fort secouru !
J’ai compris peu de chose à tout ce que j’ai lu :
Sensible cependant à ta douce harmonie,
Dans tes vers bien qu’obscurs, j’ai trouvé du génie.
Mon premier mandarin en fait aussi grand cas :
Mais, malgré son savoir, il ne devine pas
Ce que c’est qu’un David, et surtout un Horace,
Dont tu veux en mes vers que je suive la trace ;
Leur nom n’est pas encore à Pékin parvenu :
Quant à ton Frédéric, il m’était mieux connu.
C’est lui, si nous croyons tout ce qu’on en renomme,
Qui combat, règne, parle et compose en grand homme ;
Je l’en estime fort ; mais pourquoi des combats ?
On est toujours en paix dans mes vastes États,
Tandis qu’avec fureur, sur votre coin de terre,
Rois, théologiens, beaux esprits font la guerre.
Je vois qu’en ton pays il est beaucoup de gens
Chez qui le mauvais cœur est joint au mauvais sens ;
Que le Parisien aime surtout à rire
De ceux que, malgré lui, quelquefois il admire.
Mais, qu’est-ce qu’un Fréron ? Qu’entend-on par ce mot ?
Serait-ce un composé de fripon et de sot ?
Je le croirais assez. Ô le pays étrange,
Où faisant un trafic de blâme et de louange,
Le plus vil des faquins, pour quelque argent comptant,
À son gré, peut ôter ou donner le talent,
Du haut de sa sottise insulter au mérite !
À Ferney volontiers je t’aurais fait visite ;
Mais n’appréhende pas que j’aille dans Paris
Essuyer des oisifs les brocards et les ris.
Non, je vois que ces bords, ainsi que nos rivages,
Sont peuplés de fripons, mais ont bien moins de sages.

Le grand Tien ou patriarche de Ferney continue toujours à avoir un peu d’humeur contre son siècle. Deux sujets de crainte

  1. Voir, dans les Œuvres de Voltaire, l’Épître au roi de Chine sur son Recueil de vers qu’il a fait imprimer.
  2. Cette pièce n’a été comprise dans aucune édition des Œuvres de La Harpe.