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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/215

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de l’auteur de l’Esprit. C’était le plan arrêté et qui s’exécutait par les efforts réunis des molinistes et des jansénistes, ou si vous aimez mieux, des sots et des fripons. Abraham Chaumeix venait de publier ses Préjugés contre l’Encyclopédie ; M. Omer Joly de Fleury fit un réquisitoire fort bête ; le livre de l’Esprit fut brûlé, les sept volumes de l’Encyclopédie furent supprimés, et le Parlement nomma une commission de conseillers et d’avocats qui devait en examiner le poison et qui ne s’est jamais assemblée. De son côté, le chancelier, ne voulant pas accorder au Parlement le droit de s’immiscer dans la censure des livres, retira le privilège qu’il avait accordé à cette entreprise, et cependant le gouvernement, la regardant en même temps comme un objet de commerce et sachant qu’il s’agissait d’une circulation de trois millions au moins, ne se souciait pas que l’ouvrage fût achevé hors du royaume et que les profits en restassent aux étrangers. Ainsi, on voulait et on ne voulait pas à la fois, ou plutôt on ne savait pas ce qu’on voulait. Pour comble d’inconséquence, on laissa subsister le privilège pour les volumes de planches, lesquelles n’étaient cependant gravées ou ne devaient l’être que pour expliquer un texte qu’on défendait d’imprimer.

Ce fut la seconde époque de la persécution. La première n’avait pas été moins spirituelle. L’abbé de Prades avait soutenu, pour ses degrés de théologie en Sorbonne, une thèse que personne n’avait lue ; dans cette thèse, le bachelier opposait à la religion les difficultés sur lesquelles on argumente tout le long de l’année sur les bancs en Sorbonne. Les jésuites imaginèrent de renverser l’Encyclopédie en déférant la thèse de l’abbé de Prades comme l’ouvrage des encyclopédistes. Cette affaire a fait assez de bruit pour que je me dispense de la rapporter ici avec tous ses impertinents détails. Il suffit de rappeler qu’après la publication du second volume, l’Encyclopédie fut arrêtée, et qu’on obligea M. Diderot de rendre tous les matériaux préparés pour cet ouvrage immense. Les jésuites espéraient, moyennant cette dépouille, se mettre au lieu et place des éditeurs ; ils furent un peu déconcertés quand ils ne trouvèrent dans les cartons enlevés que des fragments, des réclames, des signes inintelligibles pour tout autre que pour l’auteur. Au bout de trois mois, on rendit à M. Diderot ses matériaux, et l’on permit la continuation de l’ouvrage, qui devint dès lors célèbre et monta de volume en