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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/439

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mes chers frères ! il les a déjà lancés contre nous. Contemplez ces calamités accumulées sur nos têtes ; rappelez-vous les ravages de cette bête féroce dont la gueule carnassière, sans cesse abreuvée de sang humain, ne semblait assouvir sa rage qu’en dépeuplant une province entière[1] ; ce monstre qui, non content d’exercer sa fureur sur les habitants de la campagne, mit en déroute nos défenseurs, ces héros, ces dragons dont la renommée a répandu la gloire dans le fond de la Germanie et des régions lointaines où nous avons porté nos armes. Ah ! mes chers frères ! ce signe que Dieu vous donne est-il douteux ? ne désigne-t-il pas que vous avez accueilli l’ennemi de votre salut dans vos murs et auprès de vos foyers ? Mais Dieu ne se borne point à ces marques palpables qu’il vous donne de nos dangers ; il dérange la nature, il bouleverse l’ordre des saisons, il envoie les vents hyperboréens qui dessèchent nos campagnes, endurcissent nos fleuves ; le Rhône gèle, un froid engourdissant mutile les malheureux passagers dans leurs membres, et l’air raréfié, se refusant à leur respiration, les étouffe. Environné de ces spectacles affreux, nos entrailles s’émeuvent de compassion pour nos frères, et une juste crainte nous fait appréhender pour nous-mêmes un sort aussi désastreux. Ce n’est pas tout ; ces coteaux, naguère florissants, où des mains industrieuses cultivaient une terre reconnaissante, ces vignes, ces oliviers, sources et principes de notre abondance, détruits par la rigueur de la saison, sont désormais stériles comme ce figuier de l’Évangile condamné à ne plus porter de fruits.

Telles sont les images fortes dont l’Éternel se sert pour annoncer sa divine volonté aux nations. Une bête féroce qui dévore les peuples, c’est l’ennemi de votre salut qui tente de livrer vos âmes à une peine éternelle. Un froid excessif qui engourdit les membres et plonge des misérables au tombeau, ce sont les ouvrages des incrédules qui refroidissent, qui engourdissent, qui éteignent la foi des fidèles. Ces oliviers séchés, ce sont ces malheureux qui, corrompus par l’erreur, ne portent plus des fruits de justice et de sainteté. Que tombe et se déchire le voile qui vous offusque les yeux ! Hépheta ! Que l’aveugle recouvre la lumière ! Voyez, mes chers frères, le Dieu d’Abra-

  1. La bête du Gévaudan.