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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/44

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de Sa Majesté. Quoique les étiquettes et l’ordre des menuets d’un bal paré ne soient nullement du ressort de ces feuilles, il ne faut pas croire que ce soit une matière stérile pour l’esprit philosophique ; et tout ce qui caractérise d’ailleurs l’esprit public d’une cour, d’une nation, d’un siècle, est toujours intéressant à remarquer. La nouvelle du menuet de Mlle de Lorraine causa la plus grande fermentation parmi les ducs et pairs, qui lièrent à leur cause, dans cette occasion, toute la haute noblesse du royaume. On établissait pour principe incontestable qu’il ne pouvait y avoir de rang intermédiaire entre les princes du sang et la haute noblesse, et que, par conséquent, Mlle de Lorraine ne pouvait avoir à la cour de rang distinct de celui des femmes de qualité présentées. L’archevêque de Reims, premier pair ecclésiastique, s’étant trouvé incommodé, on s’assembla chez l’évêque de Noyon, second pair ecclésiastique, frère du maréchal de Broglie. On dressa un Mémoire à présenter au roi ; les ducs et pairs, en le signant, laissèrent des lacunes entre leurs signatures afin que la haute noblesse pût signer pêle-mêle, sans distinction de titres et de rang, et ce fut l’évêque de Noyon qui présenta à Sa Majesté le mémoire concernant le menuet.

Comme ce mémoire n’a pas été imprimé, et que les copies qui ont couru en manuscrit sont restées assez rares, vous ne serez pas fâché de le trouver inséré ici. C’est une pièce qui aura sa place un jour dans les archives du droit public de France et dans les archives philosophiques : elle peut y être déposée comme un monument du style et de la tournure de la cour sous le règne de Louis XV.


MÉMOIRE.

« Sire, les grands et la noblesse du royaume, honorés, dans tous les temps, de la protection particulière de Votre Majesté, et des rois vos prédécesseurs, déposent avec confiance au pied du trône les justes alarmes qu’ils ont conçues des bruits qui se sont répandus que Votre Majesté était sollicitée d’accorder un rang à la maison de Lorraine, immédiatement après les princes du sang, et qu’il avait été réglé qu’au bal paré du mariage de M. le dauphin, Mlle de Lorraine danserait avant toutes les dames de la cour : honneur si distingué que, dans votre auguste maison, il n’est pas accordé aux branches aînées sur les branches