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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/62

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de la pièce. L’abbé, plus offensé encore, lui fait dire qu’il le lui prouvera par témoin, que Mondonville était présent lorsqu’il lui avait fait cette confidence. Ah ! morbleu, répond Palissot, je l’avais oublié. Tous ces détails sont de la plus exacte vérité.

Je ne me persuaderai jamais néanmoins qu’on ait l’impudence de se traîner ainsi soi-même dans la boue pour avoir occasion d’en jeter aux passants. Rulhière s’en défend ; mais la pièce est protégée par le maréchal de Richelieu, son protecteur ; et Rulhière, homme sans petitesses et sans scrupules, est bien capable de faire une indignité dont il rougirait. Croiriez-vous bien que ce petit Chamfort m’a passé par la tête ? Mais je crains si fort de commettre une injustice que j’ai chassé loin de moi cette mauvaise pensée. Cependant le nombre de ceux qui savent tourner un vers comme les vers de cette pièce n’est pas infini ; et à la fin il faudra bien que cela se découvre.

M. de Sartine n’a pas seulement voulu connaître le sentiment de M. Diderot, qu’il avait chargé de lire cet ouvrage sans lui en nommer l’auteur, il a encore voulu savoir ce que pensait toute la cohorte philosophique de cette nouvelle entreprise, et le philosophe lui a écrit à ce sujet la lettre suivante :

« Monsieur, j’ai fait ce que vous m’avez ordonné ; mais, pour remplir votre objet, il a fallu me montrer un peu, et exposer ce que j’avais oui dire de la pièce, afin d’en faire parler les autres. Il m’a paru qu’on prenait la chose assez froidement quand on a embrassé un état, il en faut savoir supporter les dégoûts. Il leur a été impossible de concevoir une haute opinion du talent d’un homme malhonnête ; car celui-là est malhonnête qui calomnie publiquement, et qui dévoue, autant qu’il dépend de lui, à la haine générale de bons citoyens. Au reste, votre condescendance sur ce point sera toujours regardée comme une nécessité à laquelle vous n’aurez pu vous soustraire. Ils savent tous qu’ils ont mérité quelque considération de votre part, et ils redoutent plus pour vous les réflexions d’un public impartial que pour eux la méchanceté d’un poète. Ce que vous pensez vous-même de la licence que cet exemple pourrait introduire ne leur a point échappé. Quant à moi, qui n’ai pas la peau fort tendre, et qui serais plus honteux d’un défaut que j’aurais que de cent vices que je n’aurais pas, et qui me