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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE

beaucoup de précision tous les avantages de cet arrangement qui n’aura jamais lieu, par la raison que les hommes que la nature entraîne à leur ruine peuvent bien se corrompre et changer en pis, mais qu’ils n’auront jamais la force ni le temps d’écouter la raison et de informer les abus. On trouve à la fin de cette brochure une lettre très‑remarquable, écrite en 1750 par le maréchal à M. le comte d’Argenson, ministre de la guerre, au sujet du nouvel exercice qu’on a introduit dans les troupes françaises. Ce héros tranche le mot ; il dit que l’infanterie française, par défaut de discipline, quoique d’ailleurs la plus valeureuse de l’Europe, ne peut passe battre en plaine, et il prouve ce qu’il avance par tous les exemples depuis le commencement du siècle. Toutes les affaires où les Français ont eu de l’avantage sont des affaires de poste ; toutes les affaires où ils ont été battus sont des affaires de plaine : l’exemple de l’armée de M. de Turenne ne fait rien contre lui. Il prétend que l’infanterie était bien disciplinée alors, ou du moins que celle des ennemis ne l’était pas mieux ; ce qui revient au même. Il soutient que jamais les Français n’auraient osé entreprendre de passer une plaine avec un corps d’infanterie devant un corps de cavalerie nombreux, et soutenir plusieurs heures avec quinze ou vingt bataillons au milieu d’une armée, comme ont fait les Anglais à Fontenoy, sans se laisser ébranler par les efforts de la cavalerie ennemie. Il parle partout avec la franchise dont il n’y a que les grands hommes qui soient capables. Ce Traité doit nécessairement augmenter l’impatience qu’on a de voir les Rêveries de cet homme illustre et singulier, qu’il a laissées entre les mains de son neveu, M. le comte de Frièse#1.[1]

  1. Voir ci-après 1er janvier 1758.