Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/134

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dont l’un fut tué ; Dieu sait quelle douleur nous éprouvâmes de cette perte, car nous n’avions, après Dieu, d’autre espoir que notre cavalerie. La chair du cheval nous consola quelque peu, car nous la dévorâmes avec le cuir, sans en rien laisser tant nous étions affamés. Depuis notre fuite de la grande ville, nous n’avions, en effet, pour nous soutenir, que du maïs bouilli et rôti en quantité insuffisante, et des herbes que nous ramassions dans les champs. Voyant chaque jour s’accroître le nombre de nos ennemis, pendant que chaque jour nous nous affaiblissions davantage, je fis fabriquer la nuit des brancards et des béquilles pour que les blessés que nous portions en croupe pussent se soutenir et marcher seuls, de façon que mes cavaliers fussent libres de combattre en toute liberté. Il semble, en vérité, que je fus en cette affaire inspiré par l’Esprit-Saint, car le lendemain nous étions à peine à deux lieues de notre campement, que nous fûmes entourés d’une telle multitude d’Indiens, que de droite, de gauche et tout autour de nous, la plaine disparaissait sous leur nombre. Ils nous attaquèrent en masses si serrées que nous ne nous voyions pas les uns des autres. Nous crûmes notre dernier jour arrivé, vu les milliers de nos ennemis et le peu de résistance que pouvaient leur opposer des hommes fatigués, presque tous blessés et mourant de faim. Mais Notre Seigneur Dieu daigna montrer sa puissance et sa miséricorde envers nous. Malgré notre faiblesse, nous brisâmes l’orgueil et la superbe de nos ennemis, car nous tuâmes un grand nombre d’entre eux et parmi ceux-ci, des personnages principaux et des seigneurs ; ils étaient en effet une telle multitude, qu’ils se nuisaient les uns les autres et ne pouvaient ni combattre ni fuir. Nous luttions donc ainsi depuis le matin, quand Dieu permit que l’un de ces grands personnages, le chef peut-être de toute l’armée, succombât et que sa mort fît cesser les hostilités. (C’est la fameuse bataille d’Otumba.) Nous nous en allâmes donc un peu plus tranquilles, quoique pleins d’inquiétudes encore, jusqu’à une petite maison située au milieu d’une plaine, où cette nuit-là nous établîmes notre campement. De là, nous apercevions les montagnes de Tlascala, dont la vue nous réjouit le cœur. Nous connaissions en effet le pays et désormais nous pouvions nous diriger,