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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/221

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mais pour le moment tout ce que nous pouvions faire, moi et ceux qui m’accompagnaient, c’était de tendre la main à quelques malheureux Espagnols qui se noyaient, pour les aider à sortir de l’abîme. Les uns en sortaient blessés, les autres à moitié asphyxiés, et d’autres sans armes que j’emmenai à l’arrière, et le nombre des ennemis qui nous chargeaient était si considérable, que ma petite troupe, composée d’une quinzaine d’hommes, était cernée de toutes parts.

J’étais tout entier à l’idée de sauver mes camarades et m’inquiétais peu du danger que je pouvais courir, quand les ennemis s’emparèrent de moi et allaient m’emporter, sans un capitaine de cinquante hommes qui me suivait toujours et un jeune soldat de sa compagnie, à qui, après Dieu, je dois la vie, et qui pour me la donner comme un vaillant homme, perdit la sienne.

Dans ces conjonctures, les Espagnols qui arrivaient en déroute, fuyaient par la chaussée ; comme elle était étroite et presque au ras de l’eau, car ces chiens l’avaient construite ainsi dans le but de nous y prendre, et que les Indiens mêlés aux Espagnols s’y pressaient en foule, la masse ne pouvait avancer que lentement, ce dont profitaient les Mexicains, qui attaquaient la chaussée de droite et de gauche, pour prendre ou tuer qui bon leur semblait. Et ce capitaine qui était avec moi et qui s’appelle Antonio de Quiñones me disait : « Allons-nous-en, sauvons votre personne, car vous le savez, vous mort, nous serions tous perdus. » Et pourtant, je ne pouvais me résoudre à m’en aller. Ce voyant, Quiñones me saisit et me fit faire volte-face, et quoique j’eusse voulu mourir, je cédai aux supplications du capitaine et de ceux qui l’accompagnaient ; nous nous mîmes en retraite luttant de nos épées et nos boucliers contre les ennemis qui nous poursuivaient. En cet instant, parut un de mes domestiques à cheval, qui fit un peu de place ; mais il reçut d’un Mexicain un coup de lance dans la gorge qui le renversa. Me trouvant dans cette grande mêlée, attendant que mes hommes se sauvassent par cette petite chaussée, pendant que nous cherchions à contenir les ennemis, arriva l’un de mes serviteurs avec un cheval pour que je pusse le monter ; mais il