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histoire universelle

Pétrarque tenant embrassé l’Homère qu’il ne pouvait lire dans le texte d’origine ? Pétrarque était venu trop tôt (1304-1374) mais en restaurant l’usage du pur latin aux côtés de l’italien, il fut lui aussi un des grands « préparateurs » de la Renaissance.

À l’aube du xvme siècle le mouvement éclata avec une vigueur soudaine. On dit parfois qu’il fut bref et tassé. Où prend-on cela ? Il dura tout ce siècle et enjamba superbement le suivant[1]. Telle, dans une terre fertile et bien ensemencée la poussée de la sève longtemps comprimée. Aussi, au milieu d’une aspiration perpétuelle vers l’expression artistique la plus parfaite, vers l’idée la plus libre, vers la vie cérébrale la plus intense, vit-on se déchaîner toutes les passions violentes : la luxure, l’orgueil, l’esprit de lucre et celui de vengeance ; si bien que dans la fresque dessinée par cette robuste époque, il est malaisé de séparer le crime de l’idéal et même parfois de discerner dans le même homme la limite du vice et de la vertu.

Un pareil mouvement ne comportait ni lassitude possible ni mélancolie. Tous ces hommes, encore que beaucoup fussent de francs sceptiques ne doutèrent jamais d’eux mêmes. Lorsque la vieillesse attardée de Michel-Ange (1475-1564) laissa percer les premiers symptômes de découragement, la déchéance commençait irrémédiable et rapide. Une seule chose y eut pu faire obstacle : l’adhésion de la foule à l’esprit et aux enthousiasmes de l’élite. Quoiqu’on en ait dit, cela ne fut pas. L’illusion à cet égard nous vient de ces multiples petits États en lesquels l’Italie d’alors se trouvait divisée et dont les chefs, ayant presque tous le même puissant relief individuel, s’efforçaient à rivaliser entre eux de munificence éclairée aussi bien que d’habilité et d’astuce politiques. Que d’ambitions et d’aventures, que de festoiement et d’éclat dans ces cours agitées et rutilantes. Les femmes s’en mêlaient : les unes, de la bonne façon comme Isabelle d’Este, marquise de Mantoue en prenant leur part de toutes les activités du temps ; les autres, de la mauvaise comme Lucrèce Borgia en trempant dans les infamies qui le déshonoraient. Mais tout ce monde de passion nous a dissimulé la « réalité populaire et bourgeoise » fort différente. La foule put s’amuser des griseries de ses dirigeants ; elle ne s’en

  1. Entre Brunelleschi, né en 1377, qui édifia la cathédrale de Florence, et le Bernin, né en 1680, qui termina Saint-Pierre de Rome, se succèdent sans interruption, autour de Léonard de Vinci, de Raphaël et de Michel-Ange, figures centrales, les merveilleux artistes que furent Ghiberti, Donatello, Luca della Robbia, Masaccio, Mantegna, Botticelli, le Perugin, Ghirlandajo, Carpaccio, Bramante, Andrea del Sarto, Titien, le Corrège, Benvenuto Cellini, le Tintoret, Paul Véronèse.