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en plein Forum. Ce qui a fait dire à Gaston Boissier qu’Andronicos avait fait connaître successivement aux Romains l’épopée, le drame et la poésie lyrique. C’est ainsi, en effet, que ceux-ci prirent contact avec les lettres grecques.

Ils auraient pu le faire beaucoup plus tôt s’ils en avaient éprouvé le besoin : apparemment ne l’éprouvaient ils pas. Dès les premiers temps de la république, des rapports directs avaient existé avec la Grèce ; et non point de simple rapports de commerce. Des artistes grecs décorèrent de fresques les murs du temple de Cérès à Rome. Quand il s’agissait d’architecture utilitaire, les Romains d’alors s’adressaient aux Étrusques ou s’inspiraient d’eux mais pour l’architecture décorative, ils avaient recours aux Grecs. Chose plus notoire ; quand, en l’an 454, les plébéiens avaient réclamé des lois écrites, une délégation de jurisconsultes avait été envoyée en Grèce pour y étudier le droit et la législation. Par la suite la renommée de l’oracle de Delphes provoqua la venue de députations romaines empressées à le consulter. Mais le souci de la culture littéraire continua de faire défaut. Le fâcheux fut que lorsqu’il se manifesta, non seulement la Grèce était tombée en décadence mais encore les messagers de sa pensée furent le plus souvent des coureurs d’aventure, esclaves affranchis, gens déracinés ou sans traditions qui servaient volontiers de secrétaires, d’entremetteurs, de commis-voyageurs aussi bien que de maîtres d’école. À côté de ces hommes toutefois, il y en eût — tels Panætius et Polybe, qui créèrent des centres de véritable culture. Polybe résida plus de dix-sept ans dans la maison de Paul-Émile, y forma le fils de celui-ci, Scipion Émilien et y composa son grand ouvrage historique. L’influence de Polybe fut énorme sur la jeunesse à la fois militaire et lettrée qui se groupait autour de Scipion et sur les hommes politiques et les généraux qui fréquentaient chez son père. Ce ne fut pourtant qu’une élite. Pour comprendre à quel degré la masse des Romains étaient encore dépourvus de culture, il convient de se rappeler le mot de Mummius avertissant en 146 av. J.-C. les pilotes chargés de transporter à Rome les statues et œuvres d’art enlevées de Corinthe, après la prise et le sac de cette ville, « qu’ils auraient à remplacer les objets brisés ou détériorés » — et celui d’Anicius assemblant dans un théâtre les meilleurs musiciens de Grèce et, pour apprécier leur talent, leur enjoignant de jouer ensemble chacun son meilleur air. La postérité a, semble-t-il, pris trop au pied de la lettre les véhémentes apostrophes du fameux Caton et de ses disciples,