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l’europe à la fin du xve siècle

prétendants qui redoutaient d’être évincés. Le peuple plus favorable, avait sans doute l’instinct d’un avenir national et en salua l’augure. La Castille présentait alors un triste spectacle. Les seigneurs, en guerre perpétuelle les uns contre les autres, terrorisaient le pays par leurs brigandages. La jeune souveraine ne craignit point d’entrer en lutte avec eux. On n’attendait pas d’elle assurément une aussi énergique répression. Quarante-sept châteaux furent rasés d’un seul coup. Sentant la nécessité de poursuivre ces « opérations de police », elle incita les villes à s’y associer, s’appuyant fort intelligemment sur des légistes roturiers et cherchant ses collaborateurs dans les rangs subalternes. Les « hidalgos » s’indignaient d’avoir à obéir à des gens sans « naissance » mais le peuple avait tant souffert du persistant désordre qu’il soutenait la reine même lorsqu’elle s’enhardissait jusqu’à évincer les Cortès et à restreindre les franchises municipales. Elle se trouvait bien plus puissante en Castille que ne l’était Ferdinand en Aragon car les deux royaumes avaient gardé leurs institutions particulières ; ils étaient unis, non fusionnés. Mais dépassant son mari par l’intelligence et le caractère, Isabelle le fit bénéficier du prestige qu’elle ne tarda pas à acquérir. Anxieuse de culture, apprenant le latin alors qu’elle était déjà reine, elle créa une sorte d’académie ambulante qui se déplaçait avec la cour. Elle y appelait les savants étrangers en même temps qu’elle envoyait au dehors pour s’y instruire de jeunes espagnols. Il y eut alors autour d’elle un mouvement intellectuel un peu artificiel mais singulièrement intense. Le snobisme s’en mêlant, les nobles que seul l’art de la guerre avait captivés jusque là s’éprirent de littérature ou de philosophie. On les vit occuper des chaires et des grandes dames donner des leçons publiques. Érasme, témoin de cette effervescence, ne tarissait pas d’éloges devant les résultats rapidement obtenus. Salamanque compta alors sept mille étudiants. Un jour qu’un professeur de renom devait commenter Juvénal (1488) l’auditoire fut si nombreux que, toutes les issues de la salle se trouvant obstruées, il dut être introduit sur les épaules des assistants[1].

Si l’on mentionne à côté de cela les efforts d’Isabelle pour propager la récente invention de l’imprimerie et sa méritoire

  1. L’intellectualisme espagnol n’avait pas, on doit le dire, jailli spontanément. L’université de Valencia datait de 1208 et celle de Salamanque de 1249. Et sous le règne d’Alphonse X de Castille (1252-1284) prince adonné à la science, à la poésie, à toutes les manifestations de l’esprit au point d’en être parfois comme grisé, un premier mouvement s’était dessiné mais moins complet, moins organisé et d’apparence prématurée.