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la revanche celto-romaine : les capétiens

routes, à l’entrée de tous les ponts, sur les berges de toutes les rivières. Pour lutter contre le seigneur, point d’autre moyen que de s’associer. L’association fut, par excellence, l’arme populaire du moyen âge, l’arme de la libération. Et naturellement — encore que les campagnes même y aient recouru[1] — ce fut surtout dans les villes qu’elle prospéra, y revêtant les formes les plus inattendues. Beaucoup de « confréries » sous l’égide de leur patron ou le couvert de fêtes religieuses à célébrer en commun ne furent en fait que des ligues de défense et non plus timides et cachées comme les sociétés de secours mutuels de la Gaule romaine mais riches, orgueilleuses, capables d’énoncer des thèses audacieuses et parfois de les mettre en pratique. Les insurrections de Cambrai en 957, de Montpellier (1142), de Toulouse (1188), de Marseille (1312) ne furent point les seules où les confréries mirent la main. Tout cela aboutit à l’émancipation des villes.

En France il n’était pas resté plus de cent douze à cent quinze villes importantes de l’époque romaine et toutes très déchues. Les impôts, les invasions avaient eu raison de leur prospérité. Les mérovingiens n’avaient rien tenté pour les relever. De goûts ruraux, les riches d’alors vivaient dans de grandes fermes-châteaux, au centre de leurs domaines. L’évêque, seul personnage survivant des anciennes cités, était peu à peu devenu le maître effectif et les tendances féodales avaient ensuite consolidé son pouvoir. Tel était le cas à Amiens ou à Beauvais. Certaines villes avaient passé avec le temps à des princes laïques comme Angers ou Bordeaux. Parfois l’évêque et le seigneur se partageaient la ville. C’était le cas à Marseille, à Arles, à Toulouse. D’autres encore avaient grandi plus récemment autour d’une forteresse seigneuriale : Montpellier, Montauban, Étampes, Blois, Lille ; d’autres enfin autour d’une abbaye : Saint-Denis, Saint-Omer, Remiremont, Redon, Aurillac. Par là s’explique l’extrême diversité à la fois des régimes en vigueur et des chartes d’émancipation. Ces chartes furent consenties au hasard des insistances et des bonnes volontés réciproques sans aucun plan d’ensemble. Louis VI auquel on fait à tort honneur d’avoir inauguré le mouvement en parut au début désorienté. Sous Louis VII et Philippe-Auguste il s’accentua grandement. Beaucoup de chartes se bornaient à fixer des coutumes. Elles s’efforçaient le plus souvent de protéger les représentants du commerce étranger mais çà et là elles se haussaient

  1. Dès le xiime siècle il se forma des syndicats de cultivateurs et des fédérations de villages agricoles, par exemple pour le défrichement de terres indivises.