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devoir consulter — toujours secrètement — le cabinet de Berlin. M. de Bismarck ayant intérêt à ce que l’affaire s’ébruitât, la chose advint aussitôt. De même que dans l’affaire du Schlesvig, l’opinion publique allemande habilement travaillée s’enflamma. M. de Bismarck s’entendait à merveille à ces manœuvres. Le gouvernement français dut battre en retraite en affectant l’innocence et la surprise mais à partir de ce moment on sut en Europe qu’un conflit entre la France et la Prusse pouvait surgir d’un moment à l’autre et que cette dernière puissance n’en redoutait pas l’éventualité.

Le dernier pays que Napoléon III rencontra sur son chemin fut l’Espagne. Fatale à son oncle, elle l’allait être à lui-même. Cependant — bien qu’ayant épousé une espagnole — il ne s’était guère occupé des affaires de la péninsule. Affaires peu reluisantes. L’Espagne traversait une période stérile et agitée dont elle était principalement redevable au long règne de Ferdinand VII (1813-1833). Rétrograde en politique et ennemi de toute culture[1] ce prince n’avait laissé qu’une fille encore enfant, l’infante Isabelle en faveur de laquelle il avait supprimé la loi salique (d’ailleurs d’importation française) lésant ainsi les droits de son frère Don Carlos. Les partisans de ce dernier avaient aussitôt pris les armes ajoutant la guerre civile aux maux dont souffrait l’Espagne. En fait la lutte s’établit surtout entre la centralisation castillane et les fueros ou privilèges provinciaux dont les « carlistes » se proclamaient défenseurs. Isabelle II prématurément émancipée et mariée à un de ses cousins ne sut ni diriger

  1. Sous les premiers rois Bourbons s’était affirmé ce qui semblait être déjà une caractéristique de l’Espagne antérieure, la séparation mentale de l’élite et de la foule. Proches les uns des autres dans le domaine du sentiment, enclins aux mêmes élans patriotiques, les Espagnols dans le domaine de l’esprit vivaient sans contact entre eux. D’un côté se tenaient quelques hommes hautement cultivés mais dont l’effort altruiste s’étiolait par isolement ; de l’autre, une population retardataire, retranchée dans son indolente ignorance. En vain un roi comme Charles III (1759-1788) servi par des ministres comme Campomanès s’était-il employé à « organiser » la renaissance intellectuelle ; celle-ci très intense ne franchit pas les enceintes des cénacles. Campomanès qui à 12 ans traduisait Ovide en vers castillans fut à la fois philosophe, historien, ironiste cinglant et homme politique novateur et hardi. On peut rapprocher de lui Jovellanos à la fois poète, auteur dramatique et homme d’État. Mais depuis le début du xixe siècle le niveau de l’élite avait baissé sans que celui de la foule se fut relevé.