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misère était-elle affreuse. Elle provoquait des émeutes locales et partielles férocement réprimées ; car dans une pareille société, il n’y avait point de place pour la pitié. Les fabriques étaient « des abîmes de souffrance et de cruauté » où les enfants s’étiolaient dans le dur esclavage d’un travail excessif et prématuré. Sur cette vaste « ménagerie des passions » l’alcool régnait incontesté. Les uns mourant de faim et les autres trop nourris s’accordaient à l’honorer. Depuis « les gros squires bouffis par le porto et le bœuf et accoutumés vers la fin du repas à brailler loyalement pour l’Église et pour le roi » (Taine), jusqu’à ces déséquilibrés sentimentaux « prêts le matin à pleurer et le soir à rouler sous la table », tout le monde se grisait. Le jeu et la débauche marchaient de pair. L’ignorance était assez générale et le besoin d’y échapper ne se faisait guère sentir. Parmi tant de nuées amoncelées se glissaient pourtant quelques rayons d’aurore ; et tandis qu’avec Walter Scott, Byron et Shelley une littérature plus saine, plus idéaliste se substituait à la crudité d’un réalisme populacier, Canning entreprenait avec l’esprit pratique et l’absence d’emphase qui allaient marquer l’ère nouvelle, la série des réformes libératrices. Tout était à réformer : logements ouvriers : il y avait des villes industrielles dont une partie des habitants vivaient entassés dans des sous-sols sordides — régime électoral et municipal : la vénalité décidait des scrutins ; des agglomérations de quarante mille âmes étaient aux mains de quelques familles qui y détenaient le pouvoir par une sorte d’hérédité incontestée — instruction publique : l’école existait à peine en maintes communes et l’État n’avait pas même le droit d’inspection — assistance : elle fonctionnait de façon à encourager la paresse et à perpétuer le paupérisme. Il y avait encore l’Irlande où l’éloquence d’O’Connell entreprenait de grouper les catholiques en vue de les soustraire à la tyrannie qui pesait sur eux[1] et aussi la question de l’esclavage dans les colonies contre le principe duquel la conscience publique commençait tout de même à se rebeller.

Sur ces entrefaites mourut Guillaume IV. Il avait remplacé en 1830 son frère Georges IV (1820-1830). L’héritière était leur nièce, la princesse Victoria, qui venait d’atteindre ses dix-huit ans. En vertu du privilège masculin la couronne de Hanovre ne

  1. Pour persécutés qu’ils fussent assurément, les Irlandais n’en avaient pas moins réalisé une certaine prospérité. Par malheur la population était devenue trop nombreuse pour les ressources de l’île et de mauvaises récoltes ayant déterminé une famine, il s’en suivit une vaste émigration aux États-Unis.