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que l’opinion européenne avait fini par admettre l’impossibilité d’une entente fondamentale. Delcassé pensait autrement. Édouard VII dont on a exalté les initiatives bien au delà de la réalité se laissa gagner et marqua bientôt au ministre français une confiance égale à celle que lui témoignait Nicolas II. Silencieux, s’abstenant de toute manifestation publique, aimant à dissimuler sa personne derrière les résultats qu’il obtenait, Delcassé préparait le coup de théâtre de 1904 : ces « accords » qui, concernant à la fois le Maroc, l’Égypte, Terre-neuve, l’Afrique occidentale, Siam, Madagascar et les Nouvelles-Hébrides liquidèrent d’un seul coup la plupart des litiges anglo-français. Encore que quelques détails en fussent réglés un peu artificiellement, l’opération était d’une envergure telle que les données diplomatiques européennes s’en trouvèrent modifiées tout au moins momentanément. Par malheur des précautions suffisantes n’avaient pas été prises pour éviter une brusque réaction allemande.

Les Allemands ne doutèrent plus qu’on ne poursuivit l’« encerclement » de l’empire avec l’arrière-pensée de déchaîner un conflit ultérieur. C’était une erreur. Delcassé ne désirait ni ne cherchait la guerre mais il cherchait des sécurités accrues contre une agression qu’il croyait inévitable. Le parti pangermaniste la préméditait assurément et ses agissements qui révélaient des ambitions désordonnées pouvaient à tout moment engendrer une situation périlleuse. Le gouvernement impérial s’en alarmait, éprouvant l’obligation de quelque action prochaine qui donnât satisfaction à des besoins réels d’expansion et cherchant en vain la formule à la fois pratique et majestueuse qui lui permettrait d’y parvenir sans se jeter dans les aventures. Les accords franco-anglais lui rendirent un service éminent. Il put sonner le ralliement au nom de la patrie « offensée dans son légitime orgueil et menacée dans ses intérêts essentiels ». Et Guillaume s’en fut débarquer à Tanger (1905).

Ce geste devait signifier à l’Europe que l’Allemagne, ne reconnaissant pas les accords de 1904, tenait l’intégrité de la souveraineté marocaine pour intacte et ne souscrivait pas à la liberté d’action consentie par l’Angleterre aux Français en ce pays. La manœuvre exécutée sans précipitation et sans paroles irrémédiables réussit. Faiblement soutenu d’abord, aban-